Dans la nuit noire d’une Bucarest blanche, les flocons tourbillonnent
autour de notre taxi. Après les grands axes, nous nous faufilons dans des
ruelles aux immeubles à moitié en ruines. La neige leur donne un air de fin du
monde. Je me demande bien où nous allons. Et puis là, à l’angle d’une rue, des
murs illuminés se dressaient comme un phare dans l’océan des vieilles bâtisses.
Jaristea !
En passant la porte, nous changeons d’époque et basculons
dans le Bucarest de l’entre-deux guerres. A l’époque la ville se surnomme le
Petit Paris. Jaristea se veut un cabaret des années folles tenu par une matrone exubérante. Femme imposante au
chapeau délirant, elle fume du bout de son porte-cigarette, coincée entre une
table couverte d’argenterie et une bibliothèque digne d’une maison bourgeoise
du début du XXe siècle.
Les tableaux qui couvrent les murs du restaurant doivent
dater de la même époque. Comme un esprit de vente aux enchères. Sur la table,
argenterie sur porte-couteaux, le savoir-vivre à l’ancienne. La palinca est
servie dans de vieilles fioles de chimie. Breuvage haut en saveur et en degrés
d’alcool qui donnera le ton de la soirée. De la folie, du plaisir et des
curiosités qui nous emportent dans une nuit des années folles. Des trognes, des
corps voluptueux, le cabaret enchaîne les numéros.
Même le lancement du service fait partie du spectacle. Les
serveurs amènent les assiettes à la lumière d’une grande bougie et s’alignent
devant les tables avant de commencer leur mise en place. Tout au long de la
soirée, les verres sont régulièrement remis à niveau, et il ne faut jamais
attendre longtemps ou se répéter quand quelque chose nous manque.
Irréprochable.
Danseuse en robe rouge, Cancan parisien, Mariachis mexicains,
entre deux numéros la dame au chapeau raconte des histoires. Nous ne comprenons
rien mais j’aime la regarder, les yeux fatigués, elle vit son rôle dans cette
époque hors du temps. Elle a créé son univers et nous y emmène avec force et
douceur.
J’ai particulièrement apprécié la danseuse de flûte de pan,
aussi arrondie que son instrument avec ses longs cheveux qui descendaient dans
son dos. Et je suis littéralement subjuguée par l’habilité du joueur de timbal
(prononcez tsimbal), cet espèce de piano sans touches où le musicien frappe les
cordes avec de fines mailloches.
Un petit bémol quant à la dernière chanteuse qui manquait d’attrait
et de voix mais restait elle aussi une curiosité par son look et son répertoire.
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