Petite rue piétonne qui s’étire entre la Louve du Capitole
offerte par Rome en 1906 et le grand magasin Victoria aux portes duquel la
modernité semble s’être arrêtée, Lipscani a survécu à tous les sursauts de l’histoire.
A deux pas de la mégalomanie du centre civique, l’ancienne rue des marchands de
Leipzig (Lipsca, en Roumain) a désormais donné son nom à tout ce quartier de
ruelles pavées, formant aujourd’hui le centre historique de Bucarest, nichées
entre la Calea Victoriei, la Strada Doamnei, Bulevardul Bratianu, et la Strada
Halelor.
Son histoire remonte au XIIe siècle, lorsque des foires
commencèrent à s’organiser à ce carrefour reliant la Route de la Soie à l’Europe
du Nord sur le site de l’actuelle Piata Unirii. Avec la cour princière fondée
par Vlad Tepes au XVe siècle (Curtea
Veche), le pouvoir politique rejoint l’activité commerciale. Au XVIe
siècle, Bucarest est incendiée par les Ottomans. Lipscani renaît de ses cendres
et prend au XVIIIe siècle son nom actuel. En 1847 un immense incendie consume
un tiers de la ville. Lipscani se reconstruit, alignant désormais un ensemble
de façades représentant toutes les époques de son histoire.
Les rues du quartier portent encore les traces de la forte
activité qui y régnait au temps où les han
(auberges) rythmaient le quartier à l’instar du Hanul cu Tei (l’auberge du
tilleul). Selari (les selliers), Blanari (les fourreurs), Caldari (les
chaudronniers), les rues résonnent encore de l’activité des nombreux corps de
métier présents. Epargné par les projets
de Ceausescu après le tremblement de terre de 1977, le quartier est alors abandonné
aux Tsiganes. Dans les années 90, un vent nouveau souffle sur les façades
délabrées. Les bars et les restaurants s’installent au milieu des vieilles
boutiques et des marchands de mici.
Aujourd’hui Lipscani est redevenu, à sa façon, un lieu de
rencontres. Si quelques boutiques de robes de mariées, de chapeaux et de tissus
au charme désuet ont encore pignon sur rue, les parasols aux couleurs des
marques de bière ont envahie les pavages nouvellement refaits des ruelles.
David, entrepreneur français vivant et travaillant à Lipscani, apprécie le
nouveau dynamisme qu’offrent cette vie nocturne et les rénovations entreprises.
Ce cœur animé de Bucarest draine toutes les populations et se charge, le soir
venu, d’une énergie nouvelle. Pour Antonia, jeune Roumaine active, Lipscani perd
cependant de son charme en se parant des couleurs d’une fête envahissante. Elle
s’y rend surtout pour la salle Rapsodia et les spectacles de pantomime de la
compagnie Passepartout de Dan Puric.
A Lipscani, des immeubles s’écroulent faute de soins pendant
trop d’années. La musique résonne à toutes les terrasses des nombreux bars. La
Banque Nationale se dresse en grande dame sage au milieu des lignes de balcons
décrépis. Hanul lui Manuc nous plonge dans l’histoire de Bucarest. L’illustre
brasserie Caru Bere fait découvrir le Bucarest du XIXe. Et la petite église
Stavropoleos concentre des trésors décoratifs, havre de paix dans un quartier en
pleine mutation, plein de vie. Mais dont le prochain défi sera certainement de
garder cette saveur délicieuse des lieux où histoires et Histoire se mélangent
depuis des siècles.
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