dimanche 15 septembre 2013

Lipscani, cœur historique


Petite rue piétonne qui s’étire entre la Louve du Capitole offerte par Rome en 1906 et le grand magasin Victoria aux portes duquel la modernité semble s’être arrêtée, Lipscani a survécu à tous les sursauts de l’histoire. A deux pas de la mégalomanie du centre civique, l’ancienne rue des marchands de Leipzig (Lipsca, en Roumain) a désormais donné son nom à tout ce quartier de ruelles pavées, formant aujourd’hui le centre historique de Bucarest, nichées entre la Calea Victoriei, la Strada Doamnei, Bulevardul Bratianu, et la Strada Halelor.
 
Son histoire remonte au XIIe siècle, lorsque des foires commencèrent à s’organiser à ce carrefour reliant la Route de la Soie à l’Europe du Nord sur le site de l’actuelle Piata Unirii. Avec la cour princière fondée par Vlad Tepes au XVe siècle (Curtea Veche), le pouvoir politique rejoint l’activité commerciale. Au XVIe siècle, Bucarest est incendiée par les Ottomans. Lipscani renaît de ses cendres et prend au XVIIIe siècle son nom actuel. En 1847 un immense incendie consume un tiers de la ville. Lipscani se reconstruit, alignant désormais un ensemble de façades représentant toutes les époques de son histoire.
 
Les rues du quartier portent encore les traces de la forte activité qui y régnait au temps où les han (auberges) rythmaient le quartier à l’instar du Hanul cu Tei (l’auberge du tilleul). Selari (les selliers), Blanari (les fourreurs), Caldari (les chaudronniers), les rues résonnent encore de l’activité des nombreux corps de métier présents.  Epargné par les projets de Ceausescu après le tremblement de terre de 1977, le quartier est alors abandonné aux Tsiganes. Dans les années 90, un vent nouveau souffle sur les façades délabrées. Les bars et les restaurants s’installent au milieu des vieilles boutiques et des marchands de mici.
 
Aujourd’hui Lipscani est redevenu, à sa façon, un lieu de rencontres. Si quelques boutiques de robes de mariées, de chapeaux et de tissus au charme désuet ont encore pignon sur rue, les parasols aux couleurs des marques de bière ont envahie les pavages nouvellement refaits des ruelles. David, entrepreneur français vivant et travaillant à Lipscani, apprécie le nouveau dynamisme qu’offrent cette vie nocturne et les rénovations entreprises. Ce cœur animé de Bucarest draine toutes les populations et se charge, le soir venu, d’une énergie nouvelle. Pour Antonia, jeune Roumaine active, Lipscani perd cependant de son charme en se parant des couleurs d’une fête envahissante. Elle s’y rend surtout pour la salle Rapsodia et les spectacles de pantomime de la compagnie Passepartout de Dan Puric.
 
A Lipscani, des immeubles s’écroulent faute de soins pendant trop d’années. La musique résonne à toutes les terrasses des nombreux bars. La Banque Nationale se dresse en grande dame sage au milieu des lignes de balcons décrépis. Hanul lui Manuc nous plonge dans l’histoire de Bucarest. L’illustre brasserie Caru Bere fait découvrir le Bucarest du XIXe. Et la petite église Stavropoleos concentre des trésors décoratifs, havre de paix dans un quartier en pleine mutation, plein de vie. Mais dont le prochain défi sera certainement de garder cette saveur délicieuse des lieux où histoires et Histoire se mélangent depuis des siècles.

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