dimanche 31 juillet 2011

Petit mot persillé

J'oublie depuis quelques jours de vous conter ces petits mots échangés avec Eglantine. Hatice nous avait préparé des sigara börek fourrés au fromage, à la tomate et au persil. Les feuilles de persil n'étaient pas coupées menues et Eglantine n'a pas voulu en manger. Elle n'aime pas le persil et n'en mange que quand elle ne s'en rend pas compte.

Pour la motiver j'ai essayé de lui dire que le persil c'est drôlement bon et qu'en plus ça rend intelligent.
Petit moment de rapide réflexion.

"Mais moi je suis déjà intelligente !"

Ben oui.
Hatice a refait des sigara börek. Sans persil.


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Non non non non

Camélia Jordana.
"Combien de fois faut-il,
Vous le dire avec style ?"

La musique commence à peine que déjà Hortense chante "Non, non, non, non", avec la bonne mélodie.

Elle adore dire non, et dans sa bouche ce mot de refus devient presque une mélodie. Alors que le oui ne l'intéresse pas, bien qu'elle en ait compris le principe. J'avoue donc que je lui passe souvent cette chanson qui lui va si bien. Je me rend compte aujourd'hui, qu'elle l'aime vraiment beaucoup elle aussi !

Musiciens en herbe

Hortense dormait déjà quand les musiciens sont arrivés. Elle aurait certainement participé elle aussi aux jeux de la danse et de la musique. Eglantine et Clélia ont longtemps accompagné de leurs mélodies maladroites les musiciens. Loin de se laisser perturber, ils les ont encouragées. Elles étaient dans leur cercle, sérieuses comme si la musique dépendaient d’elles, échangeant des regards complices avec ces hommes qui les avaient admises parmi eux comme leurs égales.
Puis Clélia a laissé tomber sa flûte pour danser, à l’instar de Berke. Ouvrant les bras et enchaînant les pas de danse, ce petit bout d’homme turc nous a fait une belle démonstration du folklore turc, contemporain et vivant, fort des ses racines et de son entrain.


Sur un air de fête

Des soirées à la maison, nous en avons organisées quelques unes. Celle d’hier soir, dernier dîner avant notre départ, fut unique en tous points. Nous étions une vingtaine sirotant quelques verres dans le jardin, élargissant le cercle au fur et à mesure des arrivées. Les enfants couraient dans l’herbe, sautant sur les tapis et les coussins, poursuivant Bella entre les arbres, inventant mille jeux.

La nuit n’était pas encore tombée que les musiciens sont arrivés, tout de noir vêtus, leurs instruments à la main et le sourire aux lèvres. Hos geldiniz ! Virginie les a reconnus la première. Les musiciens de Mehane, ce restaurant de Kültür Park où ils jouent tous les soirs, entraînant les clients dans le chant et la danse. Ersen ne m’avait pas précisé que c’étaient eux. Sincèrement j’ai apprécié en avoir la surprise. Leur présence annonçait une bonne ambiance assurée.

Sur fond de musique turque et de chants populaires, nous avons partagé un dîner préparé par Tulay, la rayonnante patronne du petit restau Koza Mollah du Koza Han. Elle était passée un peu plus tôt nous déposer des plats de mezze, feuilles de vignes, aubergines et poivrons farcis, les haricots à l’huile, poivrons au yaourt, aubergines à la tomate, taboulé et autres mets savoureux typiques de la Turquie. Les garçons ont assuré au barbecue et les voisines se sont chargées des desserts.

Et comme si leur seule présence n’était pas le plus beau des cadeaux, ces amis qui ont marqué nos années en Turquie avaient préparé moult cadeaux qui nous ont beaucoup touchés. Même les filles ont eu leurs petits souvenirs de ce pays qui les aura vues naître ou grandir.

Beaucoup d’émotion, beaucoup de joie. Nous avons chassé la tristesse des au revoir dans la meilleure soirée que nous ayons jamais eue ici. Comme le bouquet final du feu d’artifice qu’aura été la Turquie.








vendredi 29 juillet 2011

Des truites et des platanes

Le thermomètre atteint des sommets. Je ne suis pas défroissée de ma soirée de la veille. Seher et Pascale n’étaient d’ailleurs pas certaines que j’allais maintenir notre sortie au barrage. Mais plutôt que de végéter à la maison dans la chaleur immobile d’une nouvelle journée caniculaire, j’emmène Eglantine déjeuner avec Pascale, Seher et Berke.

Nous prenons la route d’Orhaneli qui part derrière Carrefour. Nous montons au milieu d’une forêt verte et dense couvrant les deux versants de la vallée d’une petite rivière. Arrivés à la hauteur du barrage, nous prenons à droite. Lorsque que nous passons le barrage, un lac magnifique se découvre sur notre gauche, majestueusement bleu dans son écrin de verdure.


Nous continuons encore quelques kilomètres sur cette belle route de montagne quand au détour d’un dernier virage Seher nous signale le restaurant qu’elle veut nous faire découvrir. Au bord de la route où passent les camions, une maison, quelques tables sous de gros platanes et l’eau qui coule des fontaines. Personne. Finalement une femme et sa fille apparaissent à la fenêtre du premier étage. Le restaurant est fermé. C’est vendredi et le patron est parti à la mosquée. Il reviendra dans une heure. Voyant notre embarras, les deux femmes décident de nous servir et nous prenons place à l’ombre des platanes aux pieds desquels sont plantés des hortensias.

Je me rafraîchis à l’eau qui coule de la montagne dans le bassin où nagent les truites. La fille remplit d’ailleurs notre cruche directement à l’eau de la source. Puis les cassolettes de truite arrivent, bouillantes, fumantes, odorantes du fromage, des tomates et des champignons qui les gratinent. En accompagnement, une simple salade de tomates, concombres, poivrons et persil que nous arrosons de jus de citron et d’huile d’olive. Pascale me fait remarquer que cette truite est meilleure que celle que nous mangeons près de Cumalakizik. J’acquiesce. C’est un pur délice.

Depuis le restaurant nous ne pouvons pas voir le barrage. Les camions font parfois voler la poussière au bord de la route toute proche. Les mouches agressives nous piquent la peau. Mais cet endroit est comme un écrin de verdure où il fait bon se poser, perdre le fil de nos pensées en regardant le vert des platanes et le rose des hortensias, buvant le thé à la fin du repas.

Pour les enfants c’est merveilleux. La nature toute proche recèle plein de trésors et une belle aire de jeux leur fournit des balançoires et des toboggans. L’animation sera à son comble quand le patron viendra sortir les truites du soir avec sa grande épuisette, rejetant dans le bassin celles qui sont trop petites.

Au Revoir Bursa


L'Association Culturelle Turquie-France de Bursa avait organisé hier soir un pot de départ absolument fabuleux au Duetto en présence de son président et Consul Honoraire de France à Bursa, M. Mehmet Erbak. Merci à tous pour cette incroyable de soirée !

jeudi 28 juillet 2011

L'ombre dans la ruelle


J'avais envie depuis longtemps de faire ce tableau. Aujourd'hui fût une journée de peinture avant de retrouver mes amis au Duetto pour ma soirée d'Au Revoir.

Grenades


Nous avons dans notre jardin de Bursa un très beau grenadier qui nous a donné des fruits magnifiques l'année dernière. Au printemps le rouge de ses jolies fleurs éclate dans la fraîcheur du vert de son feuillage. Et déjà les grenades se forment, encore petites et vertes. Bientôt elles rougiront, prêtes à être cueillies. Mais nous serons loin. Alors aujourd'hui je les ai peintes. Petites grenades de mon jardin.

L'Armée Furieuse

J'adore Fred Vargas. Je lis tous ses bouquins. Olivier m'a ramené son dernier polar voilà déjà quelques semaines. Je l'avais mis de côté, ne souhaitant pas le dévorer de suite, le gardant pour un moment où affamée je le lirais d'une traite.
Malade toute la nuit et la journée d'hier je suis restée dans mon lit. Le temps que mon estomac se remette autant me nourrir de littérature. J'ai plongé dans l'Armée Furieuse, retrouvant avec plaisir le commissaire Adamsberg.
Comme d'habitude les personnages sont riches, l'histoire est fouillée, bien ficelée. Pourtant j'ai trouvé la ficelle un peu trop blanche ce coup-ci. J'ai pressenti l'assassin dès le début. Et si quelques pirouettes m'ont parfois fait douter, je ne me suis finalement pas trompée. Bien sûr je n'ai pas complètement deviné le final mais il n'est pas arrivé à me surprendre.
Je continuerai de lire tous les Vargas mais j'espère que le prochain aura plus de suspense.


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mardi 26 juillet 2011

La cafetière n'est plus turque

A une semaine de notre déménagement je prends enfin la décision de modifier la Cafetière. Elle prend son envol vers de nouveaux horizons et ne sera désormais plus turque. Elle affirme par la même occasion sa volonté de vous apporter un autre regard sur notre vie loin de vous et sur ces pays qui nous accueillent et que j'ai envie de vous faire découvrir.

La cafetière, un autre regard. A lire sans modération.

lundi 25 juillet 2011

Croisière sur le Bosphore







Ma dernière soirée autour d'un verre

Le marché des producteurs

Pour trouver des fruits et des légumes comme si vous les aviez cueillis dans le jardin de vos grands-parents, rendez-vous le mercredi au marché de Besevler. N'y allez pas trop tard si vous voulez avoir le choix, les petits producteurs n'ont par définition pas de grosses quantités. Mercredi dernier par exemple il ne restait plus de ces savoureuses petites pommes d'été après notre passage. Pascale et moi avions tout acheté !

Les marchandes de mûres ont les mains noires de la récolte de la veille. Les hommes ont la clope au bec, le visage buriné et les mains calleuses des travailleurs de la terre. Vous trouvez les familles derrières leurs étals comme à la porte de leurs maisons, fiers de leurs produits et sûrs de leur qualité. Ils vous font goûter pour que vous en soyez vous aussi convaincus. Et vous goûtez, juste pour le plaisir, car vous savez déjà que tout ce que vous trouvez ici est absolument délicieux.

Emendere Termal Otel

L'hôtel thermal de Emendere n'existait pas du temps de la jeunesse de Seher. Mais le ruisseau déjà coulait au fond d'un petit ravin et elle venait se baigner dans les anciens bains, escaladant les parois abruptes pour remonter dans le champ où se trouve désormais l’hôtel.

Aujourd'hui un escalier et un pont permettent d'accéder aux anciens bains, eaux thermales réputées pour soigner les problèmes de peau. Sous le feuillage dense des vieux chênes, l'eau s'écoule de vasque en vasque animant le sous bois de petites chutes d'eau au bord desquelles se reposent de gros canards.

http://www.sindirgitermal.com/


Ce lieu a été parfait pour rayonner dans la vallée de Sındırgı. J'aurais aimé y rester plus longtemps, découvrir les sources d'eau chaude, y mettre des œufs et des patates à cuire le temps d'un pique-nique. Imaginer la jeunesse de Seher, partie sur une charrette chargée de tapis et de victuailles avec toute sa famille et s'installant pour une semaine auprès de ces sources. Pour faire le thé ils suffisait de prendre l'eau disponible à volonté, laissant la théière dans la source pour garder le breuvage au chaud. Elle m'expliquait que le lieu a beaucoup changé, envahie de serres que les habitants chauffent avec l'eau de la source. Quand même, une fois, j'espère me faire cuire un œuf au pays de Seher.

Kina gecesi


Nous descendons dans le centre de Sındırgı alors que la nuit est déjà tombée. Nous entendons de très loin la musique qui annonce le mariage bien avant que nous ne discernions les drapeaux turcs tendus sur l'immeuble de la famille. Nous arrivons au carrefour de deux ruelles. Sur les quatre côtés des chaises et des bancs de fortune ont été installés. Comme au spectacle nous nous asseyons parmi les amis et les voisins venus assister à la Kina Gecesi, la nuit du henné. Normalement seules les femmes y participent pour dire au revoir à celle qui les quitte pour rejoindre son mari. Le mariage proprement dit aura lieu demain avec le bal et la fête.

La mariée porte une robe rouge à froufrous. Ses belles épaules sont dénudées et la chainette de son collier descend dans le haut de son dos menu. Elle danse avec ses amies, ses sœurs, ses cousines. Les robes ne sont pas extravagantes et oscillent des tenues courtes aux voiles ne laissant apparaître que l'ovale de gracieux visages. Les fesses des jeunes filles se trémoussent au rythme de la musique diffusée par la sono. Même celles qui sont voilées ont mis des tenues moulantes, aux ceintures soulignant la forme des hanches. Et je me dis que le voile n'empêche pas les hommes de se rincer les yeux, comme un pied de nez de ces jeunes filles à l'ordre établi.

Soudain d'une rue voisine résonne le son des tambours et des trompettes. Le marié arrive avec ses amis, frères et cousins. Les femmes cèdent la place à cette troupe bruyante et festive. Les jeunes hommes dansent à leur tour. Ils rivalisent d’agilité dans les mouvements de leurs pieds et de leurs bras, se mesurent entre eux, mettent surtout en avant le marié, dégoulinant dans son costume dont il laissera bientôt tomber la veste. Autour de lui les musiciens le portent de leurs notes enjouées. Le tambour fait vibrer les cœurs et donne du courage pour danser encore.

Puis les hommes s'accroupissent en cercle autour du marié, laissant la place au retour de la mariée. Le couple danse, complice sous les regards de leurs proches. Et de tout le quartier qui observe chaque miette du spectacle. Déjà j'entends les murmures des commentaires. J'imagine le soir même la rumeur qui prendra son envol sur la ville, critiquant, enviant et commentant chaque détail de cette nuit.

Puis les hommes et les femmes dansent ensemble, un long moment, avant que la mariée ne s'éclipse pour changer de tenue. Elle revient un peu plus tard au son des tambours et des trompettes. Elle porte un long caftan rouge et or sur un pantalon doré portant aux pieds comme de petits chaussons rouges brillants. Sa tête est recouverte d'un voile rouge. Elle est assise sur une chaise au milieu de la piste. Les femmes l'entourent, se bousculent auprès d'elle.  Certaines ont des bougies dans les mains. Une autre porte le plateau d'argent sur lequel est posé le henné. Ils sera mis au creux des mains de la mariée, signe de son sacrifice à son mari. Mais plus tard, chez elle. Seher est déçue. Elle me dit que les coutumes changent. Déjà la danse traditionnelle de Sındırgı pour les mariages n'a pas été jouée. Pourtant elle me conte combien cette danse est belle et originale. Elle perçoit un conformisme nouveau dans les danses qui s'affichent sous nos yeux.

Puis le marié la rejoint, soulève le voile et embrasse sa future femme qui se lève pour reprendre la danse. Entre temps la famille a distribué de beaux foulards en lin et des paquets de graines que les femmes assises sous leurs foulards de paysannes dévorent goulument, laissant tomber les cosses comme des flocons de neige à leurs pieds.

Les enfants son fatigués. La fête va encore durer quelques heures mais nous retrouvons la fraîcheur de notre hôtel dans la montagne. Demain nous rentrerons à Bursa, toutes les trois épuisées mais enchantées de cette parenthèse au pays de Seher.

dimanche 24 juillet 2011

Notre Yagcibedir


Je me suis assise dessus avec mon carnet et un stylo, notant frénétiquement tout ce que me traduisait Seher sur les symboles de ce tapis. J'ai fait sa connaissance, je l'ai senti sous mes pieds, l'ai caressé de mes mains et je l'ai aimé.

Je suis un aigle dans le ciel et je regarde la terre, la vie et les hommes depuis le firmament. Je vois la balance qui me rappelle à moi le roi du ciel qui vole plus haut que les autres oiseaux que je dois rester humble et juste.

Je suis la jeune fille qui tisse mon tapis alors que la rudesse de l'hiver sévit dehors. Je suis grande, j'ai les cheveux longs qui flottent au vent. Lorsque j'ai finit le tissage, j'étends le tapis devant ma porte pour faire briller les couleurs. Les fils de trame sont en bataille comme ma chevelure. Je suis libre et arrive bientôt en âge de me marier. Puis le temps a passé. J'attends une demande en mariage. Je te le fais comprendre en tissant les fils de trame en une multitudes de nattes. Dépêche-toi mon amoureux. Si quand tu viens les tresses sont reliées deux par deux, je serai déjà fiancée et il sera trop tard. Si tu arrives à temps c'est pour toi que je les attacherai.

Déjà quand j'étais devant mon métier à tisser je rêvais du printemps et de ma future vie de femme. Pour être heureuse je voudrais ce beau collier qui orne le centre de mon tapis. J'y mets des fleurs et des feuilles de platane pour en parfaire l'ornement. Est-ce toi qui me l'offriras ?

Sur ma trame blanche je noue mes fils un à un. Je suis à Esmedere. Nous faisons les meilleurs tapis. Les nœuds sont très serrés. Le travail est long. Je rêve des pommiers en fleurs. Au centre du tapis je n'oublie pas nos trois tribus nomades que je symbolise d'une lune avec des étoiles. J'y rappelle aussi ces tentes qui nous ont si longtemps accueillies. Et ces escaliers que tu vois de chaque côté, regarde bien ils sont de deux couleurs. La partie blanche représente la religion avec le Mihrab. La partie noire représente le cycle de la vie. Nous venons de la terre et nous y retournerons. Le noir tu ne le trouves qu'à Esmedere.
Au bout des escaliers les crochets symbolisent le fuseau avec lequel j'ai filé la laine ou les cornes des chèvres.

Dans les bordures je mets des pommes de pins et des pattes de chat. Ou alors la route des caravanes. Par une simple ligne ondulée je rappelle la route sinueuse de la vie même si nous ne devons pas nous détourner du droit chemin. Bien sûr je n'oublie pas le Kocabas (kodjabach), le gardien de la patrie, de notre foyer. Il nous protègera.

Et ce motif qui rappelle les fleurs et les feuillages dans les quatre coins de mon tapis tu le connais bien. Quand tu viendras me demander en mariage tu mettras des sacoches sur ton cheval. Elles seront de la même facture que mon tapis. Elles seront ornées d'une bordure de pommes de pin autour de ce motif. Pour montrer l'honneur que tu fais à ma famille, tu auras mis du thé et du sucre dans tes belles sacoches. Viens mon amoureux, mes parents seront heureux de t'accueillir et notre vie sera belle et riche comme mes rêves de jeune fille.

J'arrête de regarder mon tapis. Je quitte les rêves de la jeune fille qui font briller mes yeux. L'aigle me surveille. Décidément j'adore ce tapis.




Sur le pas des portes

Seher m'a montré la petite maison de sa maman. Elle ne paye pas de mine et tombe en ruine mais est attachante avec sa façade colorée et l'histoire de mon amie. Dans la rue nous rencontrons les voisines, les cousines et les tantes. Paysannes généreuses aux pantalons larges et fleuris, les foulards sur la tête, plus pour se protéger du soleil que du regard des hommes, elles sont heureuses de revoir Seher, faire la connaissance de son petit-fils qu'elles embrassent avidement, comme pour être certaines de laisser leur empreinte, ou prendre un peu de cette jeunesse qu'elle n'ont plus, ou peut-être juste pour donner dans ces quelques baisers rapides l'image de toute la tendresse dont elles sont capables.

Derrière les murs d'enceinte, les lopins de terre qui nous séparent des maisons prodiguent fruits et légumes de saison. L'une des voisines, regard bleu perçant et sourire sincère, nous montre ses trésors. Elle nous offre des prunes vertes que les enfants dévorent avec gourmandise, de la menthe, du basilic et des petits piments verts. A l'entrée du jardin une grosse marmite est posée sur un feu à même le sol. Je n'y vois que de grosses pierres. Elles retiennent au fond de l'eau bouillante les bocaux de compote de prune qui doivent être stérilisés.. Ils seront ouverts cet hiver quand le soleil sera aussi rare que les fruits.



Puis nous rendons visite à une vieille tante qui nous fait dcouvrir ses vieux Yagcibedir quand elle apprend que je suis venu pour en acheter. Ils sont doux, les couleurs ont éclairci. Ils sont magnifiques, avec des motifs plus petits et plus nombreux que ceux que j'ai pu voir. Ils ont la couleur du temps et la douceur des bonnes choses. Le tapis que j'ai ramené a encore la fougue de la jeunesse. J'espère repenser à tous ces moments quand je le regarderai dans quarante ans, quand lui aussi aura vécu et que je le montrerai à ceux qui voudront le découvrir.

Et partout sur le pas des portes, des tabourets montent la garde. Parfois juste une caisse à légume recouverte d'un bout de couverture. Normalement à la fraîche chacun s'y installe, la rue s'anime et discute. Mais ce soir les tabourets sont seuls. Et dans la rue derrière la maison de Seher, les maisons en ruine ne voient plus parler personne que les chats qui s'abritent encore dans leurs murs.
Ces vieilles masures basses, aux portes de bois et aux murs colorés disparaissent petit à petit au profit des bâtiments modernes plus salubres mais sans âme. Déjà les anciennes maisons grecques et ottomanes, seules traces d'une double culture disparue depuis le départ des Grecs, se comptent sur les doigts de la main.

Des feuilles et des hommes

Ils se lèvent de bonne heure pour cueillir ces feuilles épaisses avant que la chaleur ne les rendent trop dures. En traversant les champs autour de Sirdingi, nous apercevons tous les matins des hommes et des femmes pliés en deux dans ces parterres fleuris. Spectacle magnifique pour moi qui regarde de ma voiture climatisée. Seher m'explique la rudesse du travail qu'elle ferait encore si elle n'avait pas pris le chemin des études. Se lever avant le soleil, rester des heures courbé sous le chaleur qui vous écrase littéralement à ramasser des feuilles qui tachent les doigts, puis enfiler les précieuses récoltes sur de longues broches pour les faire sécher. Le tabac sera ensuite vendu aux Américains qui en feront les cigarettes vendues en Turquie.

vendredi 22 juillet 2011

Les tapis des nomades

La Turquie sédentaire que nous connaissons aujourd'hui puise une partie de ses racines dans les tribus nomades qui ont longtemps peuplé la vaste Anatolie, déjà bien avant les Ottomans. Pour preuve les tapis de Sindirgi qui illustrent ce nomadisme à travers ses motifs et couleurs traditionnels. A l'origine tissés pendant les rudes mois d'hiver par les jeunes filles rêvant de printemps et d'une belle vie, ils sont ornés des tentes nomades, d'arcs et de flèches, de l'arbre de vie, de fleurs de pommier, de feuilles de platane et d'encore bien d'autres motifs que j'ai déjà oubliés.

J'aime l'histoire de l'empreinte du chat qui décore souvent un des sept cadres autour du motif central. La légende dit que les femmes était en train de préparer des yufka quand un chat vint à passer par là, laissant ses empreintes dans la farine. Les femmes ont reproduit le dessin sur leurs tapis.

J'ai été conquise par ces tapis aux couleurs sombres où dominent le bleu et le rouge. Réalisées uniquement naturellement, ces couleurs ont chacune une signification. Le bleu représente le ciel et le rouge l'abondance, le sacrifice ou encore le soleil. Le brun est associé à la terre d'où nous venons et à laquelle nous retournons à la fin de la vie. Le blanc quant à lui est la couleur de la pureté.

Ces tapis qui portent le nom de Yagcibedir gagnent en souplesse, en brillance et en douceur avec l'âge. Les tapis anciens sont d'ailleurs plus chers. Personnellement j'aime l'idée d'acheter un tapis neuf et de le voir changer petit à petit au fil des années. J'ai pu voir grâce à Seher des tapis de 40 ou 70 ans et ils se sont effectivement éclaircis et adoucis, comme un très bon vin qui se bonifie avec l'âge et offre alors toute la puissance de ses saveurs.

Seher me racontait d'ailleurs comment dans sa jeunesse les tapis neufs étaient déposés devant les mosquées pendant un bon mois afin que les passages répétés des pieds des fidèles leur apportent brillance et souplesse. Ils étaient ensuite nettoyés à l'eau et au savon avant d'être vendus.

Un bon tapis se reconnaît au nombre de ses noeuds par centimètre carré. Plus il y en a, meilleure est la qualité. Normalement les fils blancs de la double trame ne doivent pas se voir entre les rangées de noeuds.

Grâce à Seher, à sa cousine Ayse et à son cousin Ali je pense revenir avec un tapis superbe pour un prix très intéressant car ils vont le négocier pour moi. Je n'ai pas encore arrêté mon choix mais après les nombreuses boutiques que nous avons visité dès notre arrivée et encore ce matin, je commence à avoir une idée de ce dont j'ai envie.



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Poissons d'eau douce

A l'hôtel on nous a conseillé de déjeuner dans un restaurant qui se trouve sur le barrage proche de Sindirgi. Après avoir visité quelques marchands de tapis, nous prenons donc une petite route qui serpente dans les collines où les chardons bleus nous saluent du haut de l'herbe jaunie de soleil. Nous arrivons dans un petit village endormi par la chaleur de midi, où la lumière semble avoir éteint toute vie. Pourtant en regardant de plus près la vie se poursuit à l'ombre des murs. Ceux de la mosquée abritent quelques hommes aux visages burinés qui nous remettent sur la voie du restaurant. Et au détour d'une maison nous apercevons une famille en train d'enfiler les feuilles de tabac sur les grandes broches où elles sècheront. Nous arrêtons la voiture. Seher et moi sommes curieuses d'aller voir de plus près. Les gens travaillent à l'ombre d'un auvent constitué d'une bâche recouverte de branches de chêne. Leurs feuillages denses procurent une ombre plus que nécessaire. A côté d'eux les hottes d'osier sont encore pleines de la récolte du matin. Le tabac se cueille de très bonne heure car il devient impossible à couper avec la chaleur.

Enfin nous arrivons dans ce qui doit être le restaurant. Quelques tables de pique-nique en bois accueillent les clients à l'ombre des pins et des pistachiers. Nous sommes seuls à dominer le lac. Nous choisissons de goûter tous les poissons proposés : une sorte de carpe, un poisson jaune, et le poisson ailes rouges. Même Seher ne les connaissait pas. Aucuns regrets. Nous avons tous mangé de bon appétit, les doigts plein de friture, le cœur porté par le chant des cigales, le regard posé sur le bleu du lac et le vert des forêts qui dessinent les montagnes.




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Sindirgi m'était contée

Le soleil s'est levé sur la montagne au chant des cigales. De la terrasse nous dominons la vallée de Sindirgi, un petit bourg d'une dizaine de milliers d'âme, pays de mon amie Seher. Les filles et moi sommes parties hier avec elle et son petit-fils Berke, qui a le même âge qu'Eglantine.

La route jusqu'à Balikesir est une quatre voix de bonne qualité, mis à part la fonte du goudron sous les grosses chaleurs estivales. Ensuite nous avons bifurqué vers les petites routes qui mènent à Sindirgi, dont le nom évoque le son d'un tam-tam. En effet normalement il n'y a pas de points sur les i qui se prononcent donc comme le œu de œuf.

Nous somme accueillis par une allée de platanes. Seher m'explique qu'ils ont été plantés par l'oncle de son grand-père. Premier arrêt, la boulangerie de la cousine de Seher et... un magasin de tapis ! Car Sindirgi est connu pour ses magnifiques tapis aux tons rouges et bleus ou blancs, aux couleurs naturelles et d'une belle qualité. Je suis ici pour eux et pour découvrir ce pays chantant aux champs de tabac, de tomates et de poivrons, où poussent le sésame et les oignons et coulent maints petits ruisseaux.


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mercredi 20 juillet 2011

Chaud

Il fait chaud c'est indéniable. 43° cet aprem. On brûle dans les voitures. Le soleil fait fondre les énergies. Même aller à la piscine relève de l'exploit. Vivement la nuit, sa relative fraîcheur et la soirée Autour d'un Verre au Duetto.

samedi 16 juillet 2011

C'est pas du monde !

L'arbre préféré d'Eglantine dans notre jardin de Bursa est un magnifique magnolia en haut duquel elle monte avec souplesse et... légèreté. Ses amis faisant au moins cinq à dix kilos de plus qu'elle, ils cassent les branches de ce pauvre arbre quand ils veulent la suivre. J'ai donc interdit à Eglantine de monter dans l'arbre quand il y a du monde.

Hier soir alors que Kivanç jouait avec elle dans le jardin, je la vois qui commence à s'agripper au branches du magnolia. Je lui rappelle que ça lui est interdit quand il y a du monde.

"Mais c'est pas du monde maman ! C'est Kivanç !"

Kivanç et Eglantine partagent leurs maisons, leurs jouets et leur temps. Si elle prend son bain alors qu'il vient pour jouer avec elle, il monte la rejoindre. Et hier, comme il devait partir de bonne heure à Istanbul ce matin, il est monté lui dire au revoir alors qu'elle était déjà dans son lit. Il m'avait préalablement demandé si elle dormait déjà. La princesse venait juste de se coucher et je ne la pensais pas encore endormie. Le prince est donc allé la saluer dans sa tour.

Douceur de vivre

Le petit déjeuner est fini. Je range la terrasse, installe les jouets dans le jardin. Eglantine traîne à table. Elle regarde Merlin l'enchanteur sur mon Ipad. Ses gestes sont tout en délicatesse. Hortense profite de la dînette. Elle est heureuse et rit aux éclats. La chaleur n'est pas encore montée, Moriarty donne le rythme d'une douce matinée, Olivier est dans le hamac. Douceur de vivre.


Happy 14 juillet !

Nous nous sommes retrouvés avec quelques amis à la maison. Dress code : bleu, blanc, rouge. Tout le monde a joué le jeu. Même la table et les fleurs. Pour l'occasion j'avais acheté une boîte de feux d'artifice et deux feux de Bengale. Les enfants ont adoré. Les hommes avaient pris en main les opérations, prenant toutes les précautions pour éviter les incidents. Mais alors que nous passions à table, je sors de la cuisine et me trouve nez à nez avec des militaires. Des gendarmes. Alertés par un appel de voisins anonymes, ils sont venus nous rappeler à l'ordre. Contrairement à ce que nous avait dit le vendeur, il fallait une autorisation pour faire partir nos pétards. Ca semble logique. On a promis de ne pas recommencer et ils sont repartis. Feu d'artifice et défilé militaire, en somme nous avons eu un vrai 14 juillet !

Noces de bois

Je suis Veuve Clicquot dans mon hamac. Et les moustiques m'attaquent. Ce soir, noces de bois. Nous nous sommes fait un dîner aux chandelles et au champagne. Boulettes de crevettes à la coriandre, soles poêlées aux agrumes et gâteau amandes chocolat au milieu des fleurs bleu-blanc-rouge du 14 juillet. Au calme du jardin, les filles couchées, nous avons profité de nos cinq ans de mariage, même pas pluvieux, tellement heureux.

mardi 12 juillet 2011

Fixer l'instant

Me souviendrais-je dans deux, dix ou vingts ans de cette soirée délicieuse où Eglantine et Hortense ont veillé tard ? Eglantine partant en vadrouille dans la citée pour vendre des bonbons avec Kivanç et Bagdir, fière de son trésor qui lui permettra de s'acheter des glaces demain. Hortense promenant Bella dans la poussette, tournant trente fois autour de la table, gardant la pause devant Virginie qui la prenait en photo. Partageant un apéro prolongé avec les amis qui passaient au cours de la soirée.

Ce sont de merveilleux moments que je n’oublierai pas maintenant que je les ai fixés de quelques mots, comme les épingles d'une collection d'insectes. Ce blog est en quelque sorte ma collection de moments, comme autant de papillons extraordinaires de simplicité.

L'anniversaire d'Hello Kity

La chaleur nous écrase. Même le vent est chaud, ne nous apporte qu'un peu d'air et le doux bruit des feuilles qu'il anime. Dans les jardins voisins pas un bruit. Dans le notre Juliette, Kivanç et Eglantine n'en finissent pas de se courir après. Nous venons de fêter les trois ans de Hello Kity sur une idée farfelue mais déterminée d'Eglantine. Avec son cher Kivanç ils ont préparé une pancarte pour annoncer l'évènement sur notre portail. Elle sur sa trottinette, lui sur son tracteur électrique, ils ont fait le tour le résidence espérant ainsi avoir de nombreux invités.
Pour l'occasion j'ai fait un gâteau au chocolat que nous avons recouvert de paillettes en sucre colorées. Nous y avons planté trois bougies que les enfants ont soufflées après avoir chanté Joyeux Anniversaire en turc. Hortense était aussi de la fête, ses grands yeux coquins pétillants de malice, exigeant sa part du gâteau, le mangeant consciencieusement avec une fourchette.
Les vacances sont belles pour les enfants !

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lundi 11 juillet 2011

La tannerie

Paule est venue nous chercher en début d'après-midi. Eglantine était enchantée de rejoindre Agnès et Charlène à l'arrière de la voiture. Sur la route d'Izmir, alors que l'autoroute est déjà derrière nous, ne pas rater le panneau qui indique la zone industrielle du cuir sur la droite juste avant la station Turkuaz.

Quelques bâtiments pour moitié abandonnés se dressent au milieu de la campagne desséchée par le lourd soleil d'été. Nous nous garons devant Mur-Der. Nous retrouvons Burcu, l'amie de Paule, qui va nous faire visiter sa tannerie. Elle est turque et parle français et anglais. La tannerie se déploie sur deux étages. En bas le traitement des peaux, en haut le séchage puis les colorations finales avant le pliage pour partir à travers le monde entier. Eglantine est impressionnée par les grosses machines.  De l'eau coule soudainement à gros torrents d'un gros tambour en bois, délivrant des peaux toutes propres. Une mauvaise odeur nous saisit à la gorge quand nous passons devant les peaux fraîchement arrivées qui sont traitées pour tuer toute vie organique à l'intérieur.


Nous prenons les escaliers pour accéder à l'étage noble où le cuir est séché puis teint dans de grosses machines dégoulinantes de couleurs. Sur des portants les peaux de toutes les couleurs s'entassent et nous prenons toutes du plaisir à laisser courir nos doigts dessus. A l'endroit où une femme découpe les parties invendables d'un cuir rose avec des impression en serpent doré (destination le marché chinois), Eglantine se précipite pour saisir au plus vite ces morceaux colorés et brillants qui lui font pétiller les yeux. Dans un coin s'entassent ainsi des pièces de toutes tailles et de toutes couleurs où nous sommes autorisées à piocher ce que nous voulons. Eglantine repartira avec un plein sac de ces trésors dont elle se pare aussitôt.

Dernière minute avec Chantoune


Chantoune prenait le bateau pour Istanbul ce matin. Sa valise était sur la terrasse avec son sac et son ordinateur. Elle a installé le hamac et a vite été rejointe par Eglantine puis Hortense, ravies de partager ces dernières minutes avec elle.

dimanche 10 juillet 2011

Le juillet des filles



Ulus 29

La matinée est déjà bien avancée. Derrière les rideaux tirés le Bosphore doit déjà prendre le soleil sous le regard des coupoles et des minarets de Sainte-Sophie et de la Mosquée Bleue. Nous profitons d'une grasse matinée sans les filles qui sont restées à Bursa avec Chantal.

Je me repasse la soirée d'hier. Dîner de départ d'Olivier et de Philippe (le DAF) à Ulus 29. Restaurant chic à flanc de colline, il offre à ses clients une vue dégagée sur les courbes du Bosphore entre les deux pont illuminés. Istanbul la nuit prend des allures de conte de fée.

Tarik, le directeur d'Oyak-Renault, est un homme généreux. Le champagne coule à flot dans les coupes des membres de son comité de direction et leurs épouses. Quand tout le monde est arrivé, installé et donc disponible, il commence son discours. Il est visiblement touché du départ d'Olivier et de Philippe avec qui il a aimé travailler et leur fait des adieux touchants. Eux-mêmes sont émus de quitter ce pays et cette équipe. Ils reçoivent chacun une superbe mallette en cuir qui leur rappellera longtemps la Turquie alors qu'ils iront dans d'autres bureaux. Et quelle ne fut pas leur joie de découvrir à l'intérieur un Ipad 2 ! La bataille s'annonce rude pour qu'ils ne soient pas pris par leurs épouses. Mais si Olivier ne connaît pas beaucoup le turc, il a quand même immédiatement dit ces mots, "Bu benim" (c'est le mien). Comme ça c'est dit.

Tarik est un homme généreux et sensible. Je l'ai écrit. Et pour la première fois lors d'un départ, les épouses ont eu droit à une petite attention, des crayons Svarosky bleu, blanc, rouge. Pour la France. Ou pour le drapeau turc (rouge et blanc) qui flotte au dessus du bleu du Bosphore.

Le dîner a été excellent. Mais j'étais ailleurs, tendue. Un peu de fatigue mais en y repensant j'y vois surtout mon rejet de ce départ. Avec les deux dîners de cette semaine le compte à rebours est lancé. Le temps restant s'affiche en jours. Et la Turquie file entre mes doigts. Comme Truman Capote dans sa nouvelle "Un été indien" que j'ai lue hier dans le bateau, je voudrais que quelqu'un nous retienne ici. Mais il a quitté son grand-père et je vais quitter la Turquie... Je reviendrai la voir car elle aussi m'a laissé un secret dont je prendrais conscience en la quittant, grandie de l'avoir côtoyée.


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samedi 9 juillet 2011

La Roumanie insolite

Alex Décotte est journaliste. Il a eu un entretien avec Caucescu dans les années 70. Marié avec une Roumaine, il connaît bien ce pays que moi je découvre. En 2008 il publie La Roumanie Insolite, un ouvrage que j'ai acheté au gré de mes recherches sur Amazon.

Je pensais acheter un guide touristique qui me permettrait de saisir la Roumanie autrement. Quelle ne fut pas ma déception quand j'ai ouvert ce livre, découvrant des centaines de pages noircies de texte et seulement quelques photographies. De Dracula à Caucescu, tel était le sous-titre. Pas très glamour pour moi qui cherchait à découvrir les attraits d'un pays qui ne me faisait pas rêver, l'esprit ancré dans les plaisirs de la Turquie. J'ai mis le livre de côté.

Et puis je suis allée à Bucarest. J'ai mis des couleurs sur les mots, de la vie sur les images. En rentrant je me suis replongée dans les guides et j'ai retrouvé La Roumanie insolite. Après tout je l'avais acheté, autant le lire. Bonne résolution, car voilà un livre fabuleux pour qui souhaite mieux appréhender ce voisin méconnu. Alex Décotte conte l'histoire de la Roumanie comme celle de sa famille. On s'attache à ces rois saxons comme eux-mêmes se sont donnés à ce pays jusqu'à l'arrivée du communisme. Et on s'attache à ces Roumains que l'on découvre avec le regard de l'auteur qui a réalisé de nombreux entretiens.

Enfin, une fois arrivée sur place, je relirai les dernières pages, récit d'un voyage avec sa femme à travers le pays. S'il y parle des attraits principaux des différentes régions, il incite aussi à sortir des sentiers battus pour que la Roumanie dévoile tous ses charmes.


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Promenade au village

Mavi Boncuk - Préparation de la confiture de fraises
Vous qui lisez ce blog, vous avez déjà entendu parler de Cumalakizik, ce petit village à la sortie de Bursa sur la route d'Ankara. Pour quitter la quatre voies sans se tromper, il faut guetter le petit panneau marron indiquant un site touristique juste après la station Opet. En suivant la route à droite de la petite mosquée, nous nous retrouvons rapidement à grimper le bas de la montagne arborée sur une petite route. Au bout, nous arrivons dans un village ottoman typique, pavages de grosses pierres, maisons telles que les a connu Pierre Loti. Les voitures sont garées dans la cour de l'école qui sert de parking lorsque les enfants n'ont pas classe. Framboises, mûres, cerises, confitures, petits objets en bois, broderies, tricots, les vieilles paysannes en habit traditionnel vendent leur production.

Les petites marchandes de couronnes de fleurs
Je presse Chantal, Hatice, Eglantine et Kivanç pour atteindre Mavi Bocunk dans les hauteurs du village. L'eau de la montagne qui dévale traditionnellement les ruelles se fait rare à cette période de l'année. Kivanç et Eglantine la cherchent, jouent à l'éviter et montent en riant alors que Chantal donne la main à Hatice qui a du mal à suivre. J'ai faim. Je n'ai pas mangé ce matin en prévision du copieux petit déjeuner traditionnel des villages turcs.

Oeufs à la saucisse de boeuf, gözleme, fromages, tomates, concombres, olives noires et vertes, miel, confitures de petites figues vertes, mûres blanches et fraises accompagnent le thé de la Mer Noire qui coule à volonté du samovar à l'ancienne. Nous remplissons nos petits verres, les enfants jouent dans les jardins, comptent et nourrissent les chats.

En repartant nous croisons des petites filles qui vendent des couronnes de fleurs montées sur des tiges végétales. Kivanç et Eglantine sont enchantés. Bonheurs simples.

Nous redescendons en prenant le temps de profiter de la fraîcheur des vieilles pierres, des couleurs des maisons, de la verdure des treilles et des roses trémières. Les tilleuls embaument l'air. Leurs fruits sèchent sur de grandes couvertes au soleil. En bas du village des cars déversent leur flot de touristes alors que la chaleur monte... Il est temps de partir.



vendredi 8 juillet 2011

La photo

Trop stressée pour prendre le temps d'une photo après ma coiffure, j'ai heureusement pu compter sur Virginie pour dégainer son portable et prendre LA photo tant attendue. Je viens de la recevoir. Je partage.

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Comme un premier départ

Dîner avec les équipes d'Olivier. A quelques exceptions près, ils sont tous là. Je n'ai pas l'occasion de les voir souvent. Je sers des mains, fais claquer des bises. J'avale rapidement mon entrée pendant que les Turcs dansent déjà. Au-delà de la hiérarchie et des âges, les bras s'écartent, les épaules tremblent et les corps se déhanchent sur les rythmes orientaux de ces musiques populaires que je me surprends moi-même à fredonner. Je les ai tellement entendues.
Le raki arrose d'anis les mezze et le poisson. Le vent est tombé. La nuit est douce. Les lumières de Mudanya laissent deviner les hauteurs de la ville. Sur le port les enfants jouent, lucioles sautillantes accompagnant leurs parents dans une promenade nocturne rafraîchissante après cette journée de grosse chaleur.
Selva et Gamze amènent un grand sac. Une superbe calligraphie, comme à l'époque des Ottomans. L'heure est venue de faire un discours, mettre des mots sur trois ans et demi de Turquie, exprimer à toute une équipe le plaisir de travailler avec eux. Olivier s'en sort très bien.
Il me passe le micro. Quelques mots en turc. Mais le français m'est plus familier alors que je suis émue de dire au revoir à ces gens que je connais peu mais qui sont cette Turquie que j'aime.
Ce soir pour la première fois nous réalisons concrètement que nous partons. Comme un premier départ, lançant le compte à rebours de nos dernières semaines ici.
La nostalgie nous gagne.
Puis la fête reprend et nous rejoignons la danse, riant de nos pas un peu gauches, laissant nos esprits partir sur ces airs d'Orient.


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Longueurs

Rendez-vous à 19h, je suis arrivée à 21h sur le bateau de l'Otantik à Mudanya. Choc de mon homme, pas vraiment préparé à ma nouvelle coiffure. Mes nouveaux cheveux longs tirés en une simple queue de cheval tombant jusqu'en bas du dos. J'avais envie de changement, je suis allée dans l'extrême, du court je suis passée au très long.
Long comme l'attente des perles qui devaient fixer chaque mèche de mes nouveaux cheveux, mais qui n'étaient pas là quand je suis arrivée à mon rendez-vous chez le coiffeur. Long comme le temps de pause, annoncé à deux heures, en durant finalement trois. Long comme ce temps qui n'en finissait pas de passer alors que je courais contre la montre pour ne pas arriver trop en retard.
Depuis hier je me regarde dans la moindre surface laissant apparaître mon reflet, dévisageant cette nouvelle personne qui doit être moi.
Ce matin j'ai relevé ma chevelure en un chignon improvisé, laissant tomber quelques mèches au hasard d'un geste imprécis. J'adore.



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jeudi 7 juillet 2011

Coiffeur

Je suis arrivée voilà une heure. En Turquie il faut apprendre à attendre. La musique pop couvre difficilement le bruit des sèches-cheveux. Les sonneries de téléphone semblent se répondre. La manucure passe d'une cliente à l'autre. Les coiffeurs inspectent les cheveux, ajustent les coupes, colorent les têtes. Tout le monde discute. Des tasses en porcelaine blanches noircies de coulures de café turc sont abandonnées sur les tables. Là-bas ce sont les journaux du jour, lus et relus par les clientes qui se succèdent depuis sept heures du matin. Elles sont arrivées les cheveux mouillées pour se faire faire le brushing parfait de la journée.
J'attends toujours. Aujourd'hui je fais quelque chose de spécial. C'est bientôt mon tour. Surprise...
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mardi 5 juillet 2011

Pensées du soir, en vrac

Au loin le bruit d'un arrosage automatique. Les lumières du jardin. Quelques coléoptères. Van Gogh est parti aujourd'hui, deux jours après Niki. Il ne reste plus que Bella et Noa-Noa. Nous ne pourrons pas les ramener en France. Trop compliqué. La France et tous ses principes de précaution nous interdisent de fait de ramener les chatons avant l'âge de sept mois. Même Siyah ne va pas pouvoir faire le voyage malgré un carnet de vaccination à jour. Souvent la France ne me manque pas et j'aime particulièrement cette Turquie fougueuse et chaleureuse, tellement humaine.

La Roumanie m'intrigue. J'ai envie de la découvrir, de la chercher dans les rues de sa capitale, d'y trouver une place. Troisième expat. Toute une vie. Celle de mes filles. Celle de notre foyer créé avec notre départ pour le Portugal. De quoi demain sera fait ? Dieu seul le sait. J'ai confiance même si je pressens quelques moments difficiles, comme à chaque adaptation.

De notre séjour à Bursa je ne regretterai pas l'ambiance entre les expatriés français. Au mieux ambiance Desperate Housewives, au pire cour de récré niveau maternelle. Langues de vipères à l'esprit sectaire qui ne vous laissent pas le choix de rester neutre. Procès d'intention, manipulations et mensonges, ne sortez pas du rang, n'élevez pas la voix ou vous rejoindrez les maquisards. Ceux qui las de se voir dicter leur conduite, décident de vivre leur expatriation ou leur vie à l'étranger comme ils l'entendent.

Loin de cette petite poignée de familles rigidifiées dans l'assurance de la justesse de leurs points de vue, nous avons rencontré des gens dont la générosité n'est pas feinte et avec qui nous avons partagé d'incomparables moments de bonheur. Et au fil de mes pensées qui ce soir fusent du clavier sous mes doigts agités, un sourire se dessine sur mes lèvres, nourri de tant de souvenirs radieux que je ne saurais lequel choisir si je devais vous n'en conter qu'un.

vendredi 1 juillet 2011

La Mosquée Verte de Pierre Loti

LA

MOSQUÉE VERTE

A

MONSIEUR PAUL CAMBON

AMBASSADEUR DE France

I

Brousse, 29 mai 1894.

Les Imans de la Mosquée Verte, assis à l'ombre matinale,
commençaient le rêve du jour. Les premières heures du
soleil nouveau venaient de les réunir dans leur lieu fami-
lier, au bord de la sainte terrasse, sous des platanes cente-
naires. La mosquée, derrière eux, élevait sa façade de
marbre. Et, à leurs pieds, devant leurs yeux contempla-
teurs, la ville de Brousse, toute noyée de verdure, dévalait
doucement dans l'abîme lointain des plaines.

Ils rêvaient à l'ombre, les Imans de la Mosquée Verte.
Les feuilles neuves des platanes étendaient un dôme très
frais au-dessus de leurs turbans immobiles. Peu de bruits
troublaient leurs flottantes pensées : des chants d'oiseaux,
des musiques d'eaux vives, et, entendues de loin, des
voix gaies de petits enfants ; la ville d'en dessous, à demi
cachée dans les arbres, leur envoyait à peine le murmure
de sa vie tranquille, assourdie sous tant de feuillages.

La terrasse les Imans rêvaient était, devant la mos-
quée, comme un péristyle déjà religieux ; elle formait sanc-
tuaire au dehors. Elle s'entourait d'un mur bas tapissé
de fleurettes de mai, et on y accédait par un portail ouvert
à tous venants. En plus de ces platanes vénérables, sous
lesquels les Imans s'abritaient, on y trouvait aussi un grand
cyprès sombre et un kiosque blanc, aux arceaux légers,
d'où jaillissait une fontaine...

Quand, avec mon compagnon de voyage, je pénétrai pour
la première fois dans ce lieu de continuelle paix, nous
n'étions à Brousse que depuis la veille au soir, amenés par
l'ambassadeur de France.

La maison notre ambassadeur nous avait offert l'hos-
pitalité charmante était située à mi-bauteur de montagne,
en dehors de la ville, presque dans les champs, entre
Brousse et le village de Tchékirgué. Une maison orien-
tale toute neuve, presque inachevée, ayant encore ses pla-
fonds et ses portes de bois blanc ; en bas, un vestibule pavé
de faïence ; en haut, nos chambres regardant des lointains
infinis et un grand salon aux murs blanchis de
chaux fraîche, sur lesquels on avait cloué à la hâte de
longues broderies de soie et d'or en forme de portes de
mosquée.

Arrivés en voiture, très tard, pendant une nuit sans lune,
nous n'avions rien pu deviner hier de la vieille ville déli-
cieuse. Et, ce matin, nos fenêtres ouvertes au clair soleil,
nous nous étions d'abord émerveillés de voir tout appa-
raître ; l'impression nous était venue de plonger aux temps
anciens de l'Islam, d'assister à un printemps d'autrefois,
dans un éden de tranquillité et de verdure. Puis nous
étions sortis dans la lumineuse campagne, et, pressés de
connaître cette Mosquée Verte, nous avions loué une quel-
conque de ces petites carrioles turques, qui stationnent
aux carrefours des chemins, sous les grands arbres. D'une
forme bizarre de nacelle, peinturlurée de toutes sortes de
dessins et de fleurs, elle était mal suspendue, basse avec
une toiture courbe ornée de [cuivres brillants et de brode-
ries de perles; le cocher portait veste rouge soutacbée d'or;
le cheval blanc, bariolé de henneh, avait des colliers, des
pendeloques et des clochettes : tout un Orient archaïque,
naïf, un peu enfantin encore, s'ébattant dans la joie des
nuances vives.

En route, nous avions croisé quantité de petits équipages
pareils, qui détalaient gaîment, éclatants de peinturlures,
au milieu des verts printaniers, sous les voûtes de feuilles
nouvelles, le long des talus de hautes herbes piquées de
coquelicots rouges. Et, dans ces carrioles, c'était une con-
tinuelle diversité de costumes : des hommes en veste bro-
dée et rebrodée, des femmes qui se drapaient dans de longs
voiles de soie lamée d'or et ne laissaient voir de leur visage
que les beaux yeux peints. Sous nos pieds s'étendait l'im-
mense plaine, des arbres moutonnaient à l'infini comme
la frisure d'un tapis de laine verte. Et Brousse était devant
nous, accrochée au flanc du mont Olympe qui dominait
toutes choses de sa cime encore zébrée de neiges ; ville
presque enfouie dans les branchages enchevêtrés, et plutôt
devinée qu'aperçue; sorte de grand bois d'une teinte de
printemps, d'où émergeaient çà et les dômes des mos-
quées, les minarets blancs et les cyprès noirs. Nous
dépassions aussi des charrettes lentes, que traînaient des
buffles gris, coiffés de perles bleues, ou des boeufs blancs
au front rougi de henneh. Et des groupes de paysans
encombraient le chemin, apportant d'extravagantes charges
de branches de mûrier, pour ces vers à soie qui depuis des
siècles travaillent inconsciemment à filer les célèbres étoffes
de Brousse.

Dans la ville enfin, nous avions commencé à rouler
bruyamment sur les pavés durs. De chaque côté des rues,
les maisonnettes en bois se suivaient sans s'aligner ; les
étages supérieurs, très débordants, étaient soutenus par
des volutes, des consoles, et en général posés de travers
sur les étages d'en dessous, suivant des fantaisies impré-
vues pour orienter mieux vers le beau paysage, vers
l'infini des plaines, quelque fenêtre grillée par regardent
les femmes. Il y avait des petites boutiques naïvement
ornées ; des petits métiers bizarres qui s'exerçaient sans
hâte par des procédés d'autrefois. On prenait de plus en
plus conscience d'un recul dans ces bons temps passés, qui
étaient moins durs aux artisans et aux pauvres. On sentait
combien ici la vie était demeurée simple et contemplative :
d'innombrables rêveurs étaient assis, à l'ombre des arbres,
aux portes des cafedjis ou des barbiers, devant un nar-
guilé, une microscopique tasse de café, ou seulement un
verre d'eau claire rafraîchie d'un peu de neige de l'Olympe
Des arbres, des arbres partout, et des rues entièrement
voûtées de treilles centenaires, aux pampres tout neufs. Çà
et là, aux carrefours, apparaissaient des petits lointains
baignés de pénombre verte, comme des lointains de dessous
bois, et la bigarrure charmante des costumes éclatait mieux
dans le gai feuillage, la bigarrure des vieux costumes turcs,
nullement gâtés comme à Stamboul par nos modes tristes.
Beaucoup de mosquées, s'abritant toutes sous des platanes
géants, sous des platanes sans âge, aux troncs monstrueux,
encore admirablement verts dans leur vieillesse extrême.
Et tant de fontaines jaillissantes, descendant, en minces
filets ou en belles gerbes pures, des neiges d'en haut ! Toute
cette ville ombreuse était entièrement pénétrée par les eaux
vives, qui tombaient ensuite et se réunissaient dans les
plaines d'en bas. Et tant de sépultures partout ! Le long
des rues et sur les places, des morts mêlés aux vivants ;
des kiosques funéraires, des tombeaux, verdis à l'obscurité
de leurs grands cyprès... Mais cela était sans horreur et
sans effroi, au milieu de ce peuple de croyants ; il semblait
que ces invisibles couchés sous terre ne faisaient que
poursuivre le tranquille rêve de leur vie, le même rêve,
avec un peu plus de mystère seulement, un peu plus de
silence encore et plus de nuit...

Brousse avait continué de défiler vite sous nos yeux,
tandis que nous passions dans notre petite voiture peinte.
Après une demi-heure de route, nous étions arrivés à un
large et profond ravin, dans lequel courait un torrent sous
un fouillis d'arbres ; des ponts l'enjambaient, des ponts
antiques et massifs, d'énormes arceaux byzantins, et,
comme ces ponts étaient d'une inutile largeur, les Turcs
avaient bâti dessus, tout le long des parapets, des maison-
nettes suspendues, pour y jouir du site étrange : c'étaient
des ponts habités. Contrairement aux villes arabes, les
impénétrables demeures, ensevelies de chaux blanche,
n'ont jamais de fenêtres, les villes en bois peint de la Tur-
quie regardent de tous côtés par des milliers d'ouvertures,
que masquent seulement, pour l'observance musulmane,
des grillages légers.

La ville enfin traversée, notre attelage s'était arrêté près
de la Mosquée Verte, sous des platanes, et, à pied, déjà
charmés, même un peu recueillis, nous avions franchi le
petit portail pour pénétrer dans le saint préau. Les Imans
alors nous étaient apparus, assis tout au rebord de leur
terrasse et découpés en silhouette sur les lointains pro-
fonds qu'ils contemplaient. Leurs turbans, blancs ou verts,
s'étaient à peine tournés vers nous, et puis ils avaient
repris leur rêve, nous laissant contempler aussi.

La mosquée nous surplombait, toute blanche et tran-
quille. Ses parois de marbre, un peu déjetées par les
siècles, par les tremblements de terre, donnaient, dès
l'abord, malgré leur blancheur immaculée, l'impression
des temps lointains. L'herbe y poussait çà et là, formant
bordure verte entre les assises, et des colombes affairées,
qui faisaient leur nid dans les trous du mur, allaient et
venaient alentour. La haute porte, d'un dessin mystérieux,
avait pour couronnement quelque chose comme une
multiple retombée de stalactites de grotte, et les fenêtres
s'encadraient de fines dentelles d'Alhambra. Mais, malgré
celte extrême complication de détails, l'ensemble, les
grandes lignes, tout demeurait reposant et simple. Il était
vraiment un grand maître du rêve, celui qui l'a conçue, il
y a cinq siècles, la Mosquée Verte et qui l'a édifiée ici,
devant ces perspectives profondes, en balcon avancé sur
ce pays d'arbres.

Les marches de marbre blanc, envahies d'herbes qu'on
ne dérange jamais, étaient aujourd'hui toutes semées de
coquelicots rouges : les Turcs sentent le charme des
ruines, des fleurs sauvages reprenant leurs droits sur les
plus splendides choses humaines et, d'ailleurs, s'ils ne
réparent jamais rien, c'est pour ne pas contrarier la volonté
d'Allah, qui est que tout tombe et finisse...

Les Imans, assis à l'ombre, ayant compris notre désir
d'entrer dans le sanctuaire, nous avaient envoyé un jeune
homme qui rêvait là, étendu à leurs côtés.

C'était un garçon pauvre, qui avait métier de louer des
babouches aux visiteurs de ce lieu saint. Humblement il
était venu nous chausser et ouvrir devant nous les portes
de la mosquée sereine.

D'abord, nous n'avions perçu qu'une impression de
fraîcheur, de pénombre délicieuse, de suprême paix ; puis,
lentement, le charme spécial de ce lieu nous avait impré-
gnés.

Au centre, une fontaine jaillissait d'une vasque toute
blanche. Sur les murailles, des faïences rares de celles
dont le procédé de coloration est depuis trois cents ans
perdu alternaient avec la blancheur des marbres. Au-
dessus de la porte d'entrée, apparaissait très haut la grande
loggia en faïence des sultans d'autrefois, et de chaque
côte, au niveau des dalles, des loges pareilles s'ouvraient,
pour les Imans ; les précieux carreaux qui les tapissaient,
représentant d'inimaginables fleurs, avaient des encadre-
ments et des bordures de tous les bleus turquoise depuis
la fraîche turquoise couleur de ciel clair jusqu'à la tur-
quoise mourante s'éteignant dans les verts étranges.

Au fond de la mosquée, resplendissait le Mihrab (qui est,
comme chacun sait, le portique très saint, orienté dans la
direction de la Mecque, vers lequel se tournent les fidèles
en priant) ; chef-d'oeuvre d'art ancien, très haut et majes-
tueux, il était entièrement en faïence; ses fleurs, ses ara-
besques, ses inscriptions en relief, avaient des contourne-
ments infinis ; son ogive, à mille brisures, était surchargée
de stalactites, rappelait les lentes cristallisations aux
voûtes des cavernes ; et, au-dessus de tout, couronnant ces
complications amoncelées, une série de grands trèfles poly-
chromes se découpaient sur le marbre blanc des murs.

Et toujours, ici comme dehors, dans son prodigieux
entassement de détails, la mosquée demeurait simple en
elle-même, conçue avec un art supérieur, pour être, malgré
tout, reposante à voir. Le calme qui s'en dégageait devait
provenir peut-être de l'absence de toute forme vivante :
rien de ces images douloureuses, souvent superbes, mais
toujours trop humaines, qui décorent nos églises. Les
fleurs même ayant je ne sais quoi de rigide qui les change;
partout la régularité géométrique, l'impersonnel, l'abstrait,
l'inexistant; l'arrangement des choses et leur dessin pur,
sentant déjà l'approche et l'apaisement d'une sorte d'au-
delà inorganique, immatériel, éternel...

Nous avions voulu visiter ensuite le tombeau du sultan
Mebemed Ier, fondateur de cette mosquée. Il était dans le
voisinage, sur une esplanade un peu plus haute, et nous
avions repasser sous les vieux platanes, monter encore
quelques marches de pierre.

C'est ce tombeau qui est la véritable Mosquée Verte, nom
qui cependant va si bien à tout l'ensemble de ce lieu saint,
à cause de l'admirable verdure des alentours, à cause de
la verte pénombre que les platanes entretiennent ici au-
dessus des marbres.

Un kiosque funéraire de forme octogonale, surmonté d'un
dôme et orné au dehors d'un revêtement en petits carreaux
couleur vert-de-gris, imitant les écailles des lézards.

Au dedans, un enchantement, dans des nuances de mer
et d'émeraude. Des faïences semblables à celles de l'exté-
rieur, mais brodées de fines arabesques d'or, et, au milieu
de chacune des faces de l'octogone vert, une rosace poly-
chrome, une de ces rosaces à la fois si compliquées et
si simples, d'un dessin de châle persan, qui s'effilent en
une pointe élancée et que termine une sorte de fleur de lis.

VII. 35
Des petits vitraux, haut perchés, tout près du dôme, et
travaillés autant que des pièces de bijouterie, laissant
descendre une lumière changeante, comme filtrée au tra-
vers de pierres précieuses. Par terre, l'épaisseur des tapis
anciens, sur lesquels on marche sans bruit, en babouches.
Et au centre du kiosque, le catafalque, le monumental
catafalque incliné, en forme de cercueil, coiffé du turban
de jadis et recouvert d'un voile de la Mecque, en soie
groseille pâle avec inscriptions d'argent mat. Une merveille
d'art oriental, cette grande triste chose rose, chamarrée
d'argent, qui se dresse devant ces fonds couleur d'eau
marine...

Ensuite, le loueur de babouches nous avait ramenés
dans la première cour, près des Imans silencieux, nous
proposant de nous asseoir aussi au rebord de la terrasse,
pour jouir de la vue incomparable des lointains.

Les Imans, à notre approche, avaient porté leur main
droite à leurs lèvres, puis à leur front, en geste de saluta-
tion amicale, nous invitant à prendre place près d'eux
sur un tapis rouge. Et, alors, notre connaissance et notre
sympathie avaient commencé.

Le lieu d'élection des Imans est une modeste et très
vieille estrade en planches, qui s'appuie au tronc du grand
cyprès et l'on monte par trois marches fendillées au
soleil. Le plancher en est très vermoulu ; tout au bord de
la terrasse, il affleure le sommet du petit mur d'enceinte.
pour permettre, même aux personnes assises, de ne rien
perdre du merveilleux panorama d'en-dessous.

Quand nous sommes là, on fait venir du café, des
narguilés, et le petit loueur de babouches s'assied aussi
en cercle avec nous, car, si pauvre qu'il soit, les Imans
l'admettent dans leur compagnie : d'abord, les gens du
peuple sont ici tous plus ou moins affinés par la prière ; et
puis, la Turquie est le vrai pays de l'égalité, égalité
devant la contemplation et devant le rêve. Ils ont pourtant
une foi, les Turcs, un clergé puissant, une théocratie et un
khalife ; mais cela n'empêche pas les riches et les pauvres,
les laboureurs et les plus savants derviches, de se tendre
la main, de s'asseoir côte à côte, devant les plus humbles
petit cafés, pour causer ensemble. Et nous ignorons com-
plètement la fraternité qu'ils pratiquent, nous, les promo-
teurs des belles théories égalitaires qui aboutissent à la
marmite explosible, après nous avoir fait passer par la
duperie honteuse et bête d'une aristocratie d'argent.

Sur la terrasse des Imans, la causerie, qui amène pour
nous l'oubli des heures, est très lente, très clairsemée dans
du silence, composée surtout de formules aimables, sou-
rires, gestes calmes pour indiquer les grands horizons
développés sous uos pieds.

D'abord, à la même altitude que nous, sur le flanc du
mont Olympe, s'éploie la ville de Brousse, berceau des
Osmanlis. Très plongée, cette ville, presque noyée, disparue
dans les ramures de tous ses arbres, clans les feuillages si
frais de son beau mois de mai. Les Turcs l'appellent la
Ville aux cinq cents mosquées; et, en effet, ce qui surnage
au-dessus du flot vert, ce sont surtout les saintes coupoles,
les flèches blanches des minarets, puis les grandes
larmes noires des cyprès, disant qu'il y a partout des
morts, que les Osmanlis d'autrefois sont là, endormis sous
les pas de leurs fils pieux...

La ville ne descend point d'une plongée égale et régu-
lière dans les plaines. Çà et là, des ressauts, des plans de
terrain s'avancent comme des proues, supportant des mos-
quées plus émergées de la verdure, des maisons plus
apparentes; et, au bord de ces escarpements, toujours
s'étendent des terrasses, des lieux de contemplation
d'autres rêveurs comme nous sont assis devant les loin-
tains.

Les plaines d'en bas, toutes veloutées d'arbres, de peu-
pliers, de mûriers, de chênes, s'en vont, s'en vont de plus
en plus bleuâtres, jusqu'à une ceinture de montagnes très
éloignées, d'une teinte claire d'iris, qui confinent avec le
ciel pur. Et, derrière nous, cette mosquée aux grands murs
de marbre, qui semble contempler aussi par ses fenètres
festonnées, épanche son calme mystique sur nos têtes...

Un groupe d'hommes est là, un peu à l'écart, dans le saint
enclos. Assis ou étendus, accoudés au petit mur d'enceinte,
silencieux tous, ils regardent au fond du gouffre vert :
campagnards quelconques, brigands ou bergers. Grands et
blonds, superbes, les yeux ombrés, la moustache détachée
en clair sur le visage hâlé de soleil, ils portent des vestes
bleues ou rouges, courtes de taille, laissant voir le large
enroulement des ceintures de cachemire autour des reins
souples. Leurs manches, taillées à la tartare, pendent
librement de leurs épaules, un peu comme des ailes : leurs
pantalons à mille plis s'arrêtent au-dessus du genou,
découvrant, suivant la mode d'Anatolie, le haut du mollet
nerveux au-dessus de la guêtre serrée. Types de guerriers
songeurs, ils seront ou ils out été de ces soldats croyants,
admirables au feu, qui composent et rendent si fortes les
armées de Turquie.

L'air est sec et suave, déjà d'une saine chaleur d'été. Le
parfum des innombrables roses des jardins monte jusqu'à
nous, mêlé à des senteurs balsamiques de cyprès...

Est-ce qu'il y a dans ton pays beaucoup de points de
vue aussi beaux que celui-ci ? demande en souriant l'un
des turbans verts.

Et, au ton de sa question, on sent qu'il ne croit pas la
chose possible...

Quelle conception haute et sage ils ont de la vie, ces
gens-là ! Considérer comme transitoires les choses d'ici-
bas ; espérer en Dieu et prier ; se créer très peu de besoins,
très peu d'agitations, et jouir le moins brièvement possible
de ce qui est d'une vraie beauté sur terre : les printemps,
les matins limpides et les soirs d'or.

Quand nous quittons les Imans de la Mosquée Verte,
promettant de revenir les voir, leurs saluts sont gracieux
et grands.

Et déjà, entre nous, une sympathie s'est nouée ; ils ont
compris sans doute que nous sommes presque des Orien-
taux, nous dont les côtés tourmentés leur échappent...

Brousse, que nous traversons de nouveau pour rejoindre
la maison de notre ambassadeur, sommeille doucement
sous la chaleur de midi. Et beaucoup de gens sont à
genoux, les mains jointes, la tête levée, faisant leur prière.

II

Parmi tant de lieux de paix et de rêve dont l'ensemble
forme Brousse, il en est un autre particulièrement exquis :
le bocage funéraire, autour de la mosquée Mouradieh. Là,
sous des cyprès hauts comme des tours, sous des platanes
centenaires grands comme des baobabs nubiens, sont
ombragés des kiosques qui servent de dernière demeure
à plusieurs sultans passés. Des rosiers, comme des lianes,
courent d'un arbre à l'autre, fleurissent avec une étonnante
profusion le long des sentiers envahis d'herbes folles. De
l'eau jaillit partout des vieilles fontaines : des oiseaux ont
des nids dans toutes les branches. C'est le bocage de
l'ombre et surtout le bocage des roses. Par exception, on
n'y a pas de vue: on y devine seulement, sans les voir, les
plaines d'en dessous ; on y est enfermé sous une voûte
verte, entre des murs verts qui y font la paix plus invio-
lable qu'ailleurs et plus attristée.

Et, de tous ces très vieux kiosques que vient nous
ouvrir les uns après les autres un Iman rêveur le plus
charmant est celui du prince Mustapha (1472).

L'intérieur en est revêtu des plus admirables faïences
persanes. C'est, sur fond bleuâtre, un semis de fleurs ima-
ginaires, d'un dessin archaïque et rare ; des fleurs de deux
bleus, lapis et turquoise, alternant avec des fleurs de
corail, émaillées en relief. Au-dessus de cette tapisserie
féerique, court une frise également en faïence, à fond
noir, avec inscriptions religieuses blanches traversées de
gerbes de fleurs roses. Et on recherche aujourd'hui
le secret de ces colorations-là, qui est perdu depuis trois
siècles.

Le prince ayant demandé que son tombeau fût semé de
gazon et arrosé par l'eau du ciel, ses successeurs fidèles
ont laissé, dans la voûte de ce kiosque sans prix, une
ouverture par les pluies tombent ; le catafalque de
marbre blanc, en forme de grand cercueil ouvert, a été
rempli d'un terreau rougeâtre pousse à l'ombre, entre
les merveilleuses murailles de faïence, une herbe pâle et
maladive.

Le soir, une attirance nous ramène vers nos amis de la
matinée, vers la belle Mosquée Verte.

En même temps que nous, y arrivait un petit cortège
funéraire : un jeune homme, porté à l'épaule, sur un
brancard, par d'autres jeunes hommes recueillis et graves.
Le corps, à jamais rigide, était recouvert d'étoffes brodées
qui en dessinaient la forme, et on ne voyait pas le visage,
caché sous un voile. Rien de triste lugubrement, mais plu-
tôt une mélancolie apaisée et douce, dans cette scène de
mort, dans ce cortège si jeune, aux costumes de couleurs
vives, défilant sous les platanes, par une soirée de prin-
temps, avec toutes ces fleurs alentour...

Nous avions ralenti notre marche pour les laisser passer.

Ils déposèrent un instant la civière sur les marches de
la mosquée. Les Imans alors, sans qu'on les appelât, se
levèrent lentement, dans leurs robes de prêtres, et vinrent
s'aligner autour du mort pour prier.

Puis, quand les prières furent dites et l'enterrement
reparti, ils se tournèrent vers nous avec de bons sourires,
nous invitant à venir reprendre place sur l'estrade, sur le
tapis rouge, pour faire avec eux le rêve du soir.

Un cafedji du voisinage apporta comme ce matin des
narguilés, du café, et de primitifs petits sorbets rafraî-
chis à la vraie neige d'en haut ; puis, voyant que nous
désirions payer à notre tour cette dînette : « Oh ! dirent-
ils en plaisantant, vous êtes des mussafirs ( des étrangers) ;
votre argent ne passerait pas dans notre ville », et le
cafedji, d'entente avec eux, n'accepta point nos offres. Ils
étaient presque pauvres cependant, et quelques pièces de
monnaie comptaient encore pour eux ; mais leur refus avait
tant de bonne grâce distinguée, que nous ne pouvions que
nous soumettre et sourire aussi.

Vraiment, ceux qui n'ont rencontré les Turcs qu'à Cons-
tantinople, ou dans d'autres ports déjà déflorés par notre
contact, ne les connaissent pas ; c'est dans les petites villes
moins fréquentées de l'intérieur qu'il faut venir pour
apprécier leur hospitalité ouverte, leur courtoisie parfaite,
leur délicatesse— et leur scrupuleuse honnêteté.

l'ont-ils emporté, le jeune homme mort? deman-
dai-je.

haut, dirent-ils, souriant toujours, comme s'il n'y
avait rien de définitif ni de sombre dans cet anéantisse-
ment-là ; il est allé dormir dans la montagne...

Gardiens de vieux rites vénérables, dans le plus exquis
des sanctuaires, les Imans n'avaient pas éprouvé le besoin
de voyager beaucoup. Et l'un deux, qui ne connaissait
même pas Stamboul, m'interrogea sur les aspects du Bos-
phore.

Le groupe des beaux guerriers fiers, aux moustaches
blondes, se tenait, comme ce matin, à quelques pas de
nous, immobile au bord de la terrasse.

—' Qu'est-ce qu'ils font, ceux-ci? dis-je. Qu'est-ce qu'ils
attendent, à la même place, depuis tant d'heures ?

L'un des turbans verts sembla surpris, et, comme expli-
cation, me montra, de son geste large et noble, les vertes
plaines fuyantes, la ville turque étendue au flanc de
l'Olympe :

Mais, répondit-il, ils regardent !

Ce motif de la longue immobilité de ces hommes lui
semblait suffisant et naturel.

Ouvrant sans bruit le portail, quatre petites filles de six
à huit ans, délicieusement jolies, entrèrent dans le préau.
Leurs robes longues avaient des couleurs éclatantes de
fleurs ; des petits voiles de mousseline blanche peintur-
lurée, posés sur leurs cheveux teints au henneh, les coif-
faient drôlement. Elles tenaient des hannetons verts atta-
chés par des fils; elles avaient chacune au front une rose
avec un brin de jasmin, et aux oreilles, des cerises accro-
chées. Dans leurs yeux noirs, déjà tout le mystère et tout
le charme des femmes orientales.

Sur les dalles tristes, à côté des Imans graves, elles se
déchaussèrent, firent un tas de leurs socques et de leurs
babouches; puis se mirent à sauter par-dessus, à cloche-
pied, en chantant une chanson lente.

Et les Imans de la Mosquée Verte, détournant leurs yeux
des contemplations d'infini, se plaisaient maintenant à
regarder sauter les petites filles ; à l'ombre des vieux pla-
tanes, elles étaient aussi fraîches, sur le fond des marbres
blancs de la mosquée, aussi éclatantes que les coquelicots
ou les marguerites, — petites fleurs de Turquie, elles-
mêmes...

C'était l'heure du tournoiement joyeux des martinets et
de leurs grands cris dans l'air, l'heure plus dorée du soir.
En bas, aux profondeurs de l'horizon, des vapeurs déjà
orangées, déjà roses, se confondaient avec les plus loin-
taines cimes ; les montagnes avaient l'air de nuages déli-
cats qui se seraient figés, et les nuages semblaient des
montagnes un peu chimériques, dont les contours len-
tement se déformaient, dérangés par d'imperceptibles
souffles.

Nous prîmes congé des Imans de la Mosquée Verte et du
loueur de babouches, —leur serrant à tous la main, cette
fois, déjà comme à des amis, — pour monter, avant la
tombée du jour, à un lieu appelé Bounar-Bachi (la Tête des
Sources), dans des quartiers plus élevés, tout en haut de
ce bois qui est une ville.

Et notre voiture se mit à gravir des pentes très raides,
entre des maisons qui débordaient par leurs étages supé-
rieurs sur les rues étroites. Il y avait le long du chemin
quantité de vénérables petites mosquées, plus ou moins en
ruines, beaucoup de cyprès et de tombeaux. Et, montant
toujours au flanc de l'Olympe, nous avions des plongées
de vue de plus en plus profondes sur les plaines d'en des-
sous.

Bounar-Bachi, un plateau ombreux, où l'herbe pousse
très fine sous le couvert de saules antiques, aux branches
énormes, aux troncs contournés comme des corps de
monstres. Çà et là, de grands cyprès sous lesquels verdissent
des tombes, et, naturellement, beaucoup de sources bruis-
santes, beaucoup d'eaux transparentes et froides, à peine
échappées des sommets neigeux. C'est un lieu muré par les
arbres, où l'on n'a pas de vue et qui porte au recueillement
triste. Cependant des enfants y jouent, des enfants qui ont
de beaux yeux pleins de la joie d'exister. Et des femmes
s'y promènent, 'enveloppées dans des voiles qui sont
teints d'adorables nuances de fleurs.

Nous nous arrêtons là, un moment, devant un petit café
isolé. Des hommes silencieux y sont assis près de nous,
dans l'éclat charmant du costume oriental ; ils écoutent
bruire les sources fraîches; ils regardent devant eux la
prairie fermée et les tombes voisines, — sous lesquelles,
sans doute, des morts continuent plus confusément, dans
les racines des cyprès, un rêve pareil au leur.

Au crépuscule rose, nous redescendons, le long des
murailles byzantines qui entourent la Brousse d'autrefois,
débris encore imposants, de carrure presque cyclopéenne.
Comme la vue est encore plus jolie, du haut de ces mu-
railles, des maisonnettes de bois s'y sont perchées, — tout
comme en bas, sur les parapets des vieux ponts.

De ce chemin qui descend, nous avons, au coucher du
soleil, un aspect d'ensemble étrangement lumineux de la
vieille ville turque, qui est comme éboulée, comme dégrin-
golée en cascade sous la verdure; quelques mosquées, qui
posent sur des espèces de roches en promontoire, surgissent
presque entières hors des branches et s'élancent très ma-
jestueuses. Là-bas, tout au loin, apparaissent en bleuâtre
les forêts peuplées de cerfs ; sous nos pieds, les plaines de
mûriers verts, et, au-dessus de nos têtes, l'antique Olympe
aux neiges blanches, patrie de tous les gentils ours dan-
seurs que des montagnards promènent dans les villes au
son du tamtam, pour la joie des petits entants de Turquie.

Par une belle nuit d'étoiles, les grillons chantant, les
lucioles promenant leurs étincelles en l'air, nous nous
endormons dans la maison de notre ambassadeur, dans nos
chambrettes de bois neuf, entendant vaguement, au milieu
du silence de la campagne, le bruit des eaux courantes et
le chant perlé des rossignols.

III

Mercredi, 30 mai.

■ Les Imans de la Mosquée Verte, assis à l'ombre de leurs
platanes, avaient repris dès le matin leur rêve d'hier.

Trois figures nouvelles aujourd'hui s'étaient jointes à
eux. D'abord un vieil Iman comme il en apparaît dans les
contes orientaux, si vieux, si vieux, que lorsqu'il était
immobile, il semblait à peine vivre. Longue barbe blanche
et longue robe blanche. Sur le tapis rouge, personnage
tout blanc, il était assis à côté des autres, continuant un
rêve commencé depuis près d'un siècle. Ensuite, un nègre
à turban vert, qui revenait des villes saintes, et un Moghrabi,
un Arabe d'Algérie.

A l'écart, le groupe des beaux guerriers blonds en veste
brodée, et, sous les arceaux du kiosque blanc, les quatre
petites filles aux boucles d'oreilles en cerises : au complet,
tout notre tranquille entourage de la veille.

Plus amical encore ce matin, notre salut de revoir avec
les Imans. De chaque côté du vieillard, pour plus.d'hon-
neur, ils nous firent prendre place, et lui nous tendit la
main en nous souhaitant la bienvenue avec un sourire. La
Mosquée Verte aussi nous parut plus charmante ; ses
lignes, plus harmonieuses ; une paix toujours plus grande
se dégageait pour nous de sa façade de marbre, de ses
marches de marbre, envahies par les coquelicots rouges et
les herbes des champs.

Le nègre nous apprit qu'il était du Soudan occidental,
mais qu'il ne se rappelait plus sa patrie, ayant été amené
tout petit à la Brousse. L'Algérien nous conta qu'il était
venu ici à la suite d'un pèlerinage à la Mecque, — sans
trop savoir pourquoi, par fantaisie de nomade, peut-être :
mais à présent il regrettait son pays, quitté depuis deux
années, et souhaitait d'y revenir. Il se trouva que mon
compagnon de voyage, IL de V..., — qui jadis fut aussi
mon compagnon au Maroc, — avait habité son village,
connaissait sa tribu, son caïd, ce dont l'exilé fut touché
jusqu'aux larmes. Alors une conversation en arabe s'en-
gagea entre eux deux, tandis que je causais en turc avec
les Imans et qu'on apportait les narguilés, le café, les
petits sorbets. Une ombre délicieuse descendait des pla-
tanes, un vent exquis à respirer passait sur cette terrasse
suspendue, qui domine de très vastes lointains ; la fontaine
jaillissante, sous le kiosque blanc, rafraîchissait l'air : il
semblait même qu'une fraîcheur sortait aussi du sanctuaire
si proche, de tout cet amas de marbre et de faïence qui est
la Mosquée Verte.

Nous les quittâmes comme hier, à l'heure chaude de
midi, promettant de venir ce soir, — notre dernier soir,
— leur faire une visite d'adieu.

Notre voiture, cette fois, pour traverser Brousse, prit
par le long bazar ; il faisait plus frais dans ce lieu, dans la
demi-obscurité de ces voûtes. Et nous regardions défiler
les étalages, plus colorés au milieu de la pénombre, les
tapis éclatants, les étoffes bariolées, — surtout les fameuses
gazes de soie de Brousse, qui semblent des brouillards
roses ou bleus, impalpables, sur lesquels on aurait tracé
des raies en jetant des flocons de neige.

De distance en distance, de grands tableaux naïfs étaient
peinturlurés à la voûte de ce bazar. Cela représentait de
saintes villes idéales, toutes de mosquées et de tom-
beaux, où abordaient, sur une mer bleu faïence, des navires
voiliers en forme de nefs antiques. Puis nous traversâmes
le quartier des fabricants de buires en cuivre, de harnais
brodés, de frappoirs pour les portes des maisons, de pla-
teaux et de coffrets. Çà et là, au milieu des boutiques, les
marchands de comestibles montraient leurs petites cuisines
sobres et proprettes, ornées de fleurs. Très peu de viandes ;
des bouillies, des laitages, des tranches roses de pastèques.
Et les robustes portefaix, les hommes de peine venaient
acheter, dans des assiettes à poupée, de petites parts de
ces choses qui suffisaient à entretenir leurs muscles
superbes, tant la sobriété est habituelle et héréditaire en
pays turc. Aucun vin, bien entendu, aucune liqueur fer-
mentée ; rien que des citronades, tenues fraîches sous des
blocs de neige de l'Olympe.

En passant, nous apercevions par échappées les rues
transversales; sous des treilles centenaires, sous des pla-
tanes géants, les petits cafés où les gens du peuple se
reposent heureux, dans la griserie très douce des nar-
guilés. Quelques heures de travail pour de minces salaires
leur suffisent par journée, modérés qu'ils sont dans leurs
besoins et leurs désirs. — On a toujours de quoi, n'est-ce
pas, s'acheter une jolie veste brodée qui dure plusieurs sai-
sons et payer sa place sur un banc, à l'ombre d'été ou au
soleil d'hiver. Ensuite, quand décline la vie, la foi est là
pour chasser la terreur.de la mort.

Le soir, au soleil baissant, nous revînmes à la Mosquée
Verte, faire notre visite d'adieu à nos amis.

Le vieil Iman à barbe de neige était, comme ce matin,
assis près d'eux, dans les plis de sa robe blanche. Et la
causerie recommença entre nous, — gens appartenant
à des mondes si éloignés, et pour ainsi dire à des siècles
différents.

Eux nous désignaient, parmi tant de dômes qui émer-
geaient de la verdure, les mosquées principales et nous
nommaient leurs fondateurs, presque toujours ensevelis
dans leur voisinage :

— C'est dans ce kiosque que dort le sultan Osman, — et
dans cet autre, le sultan Mourad...

— Y a-t-il, interrompit le vieillard tout blanc, y a-t-il des
hommes aussi âgés que moi, dans ton pays ?

— Je ne sais pas, répondis-je; combien d'années avez-
vous mon père ?

— Quatre-vingt-quinze ans, environ.

— Oh ! oui, alors, il y en a.
Un silence.

    Et y a-t-il des hommes qui atteignent cent années,
dans ton pays ?

Une petite fumée apparut, dans le vert infini de la plaine,
dans la mer d'arbres étendue à nos pieds, une petite
fumée qui serpentait, rapide, s'approchant de nous. Le
vieillard me la désigna de la main, d'un geste élargi par
l'ampleur de sa robe blanche ; il ne prononça pas une
parole, mais son clignement d'yeux, son sourire un peu
narquois signifiaient : « Tu connais ça ?... ça vient de chez
toi ? »

Hélas, oui, je connaissais ça, et je me mis à sourire aussi
de sa moquerie discrète. Le chemin de fer ! le petit chemin
de fer à voie étroite qui, depuis une année, relie Brousse à
l'un des ports de la mer de Marmara.

— Dans ton pays, si l'on était ainsi sur une hauteur, on
en verrait passer beaucoup, je suppose?

— Hélas, oui, mon père...

— Ici, nous n'en avons qu'un seul, oh ! un seulement !...
Mais, ajoute-t-il, yetichir ! yetichir ! (Cela suffit! cela
suffit!)

Cela suffit, en effet. Je n'ose émettre cette idée devant
lui, mais je trouve même que c'est trop...

Nous nous retournons, entendant ouvrir derrière nous le
portail de la haute terrasse. C'est l'ambassadeur de France
qui vient visiter la Mosquée Verte, précédé, comme l'éti-
    quette d'Orient l'exige, par un beau janissaire tout brodé
d'or.

Nous lui avions parlé de nos modestes amis les Imans,
et il se dirige vers notre petite estrade de contemplation,
nullement surpris de nous trouver assis là. Les Imans se
lèvent comme nous à son approche et nous faisons les pré-
sentations : « Nos amis, les Imans de la Mosquée Verte ! —
Notre ambassadeur ! »

L'ambassadeur alors veut bien leur tendre la main, avec
sa bonne grâce charmante, et eux la prennent tout simple-
ment, sans obséquiosité ni gêne, ayant, eux aussi, comme
tous les Orientaux, leur distinction et leur grandeur. Du
reste, dans cette Turquie où les petits et les grands ont
l'habitude de s'asseoir ensemble pour causer, rêver, boire
à l'ombre les mêmes inoffensives choses, les puissants n'ef-
farouchent pas les humbles.

Et, l'heure étant venue où le vieillard presque centenaire
va redescendre à pas tremblants les marches de la petite
estrade pour regagner sa maison, l'ambassadeur invite d'un
signe le janissaire doré à le soutenir, — ce que celui-ci
s'empresse de faire avec un visible respect.

Maintenant nous devons quitter, et peut-être pour jamais
(nous retournons demain en Europe) ce lieu délicieux et
unique qui est la Mosquée Verte.

Notre dernier coup d'oeil, jeté au kiosque sépulcral du
sultan Mehmed Ier, est inoubliable. Le soleil, très bas, au
travers d'un vitrail qui semble en pierreries, envoie des
gerbes de rayons colorés sur le catafalque rose et argent,
   
et la grande chose funèbre se détache ainsi toute lumineuse
sur la pénombre marine de ces fonds, revêtus de précieuses
faïences vertes.

Brousse, que nous traversons pour la dernière fois, est
déjà envahie par l'ombre du soir. Le crépuscule est com-
mencé sous les platanes et sous la voûte touffue des treilles,
dans les petites rues où toute la population est maintenant
assise, après les paisibles travaux du jour, pour fumer les
narguilés endormeurs : gens du peuple en veste courte,
rouge ou bleue, les reins ceints de cachemire, la tête noble
coiffée du tarbouch à gland noir qu'un mince turban de
soie entoure; gens lettrés, gens riches, en robe longue, avec
volumineux turban en mousseline blanche ou verte ; tous
causant ensemble et attendant le signal de la prière du
Moghreb qu'ils feront en commun. La chaleur est tombée
avec la lumière, et partout on entend le bruit frais des
fontaines.

Avant de rentrer au logis, nous voulons pourtant voir
encore une fois le bocage funéraire autour de la Mouradieh.

L'heure est déjà tout à fait crépusculaire et les chauves-
souris s'éveillent quand nous entrons dans cet enclos. Nous
foulons l'herbe haute, plus recueillis dans la demi-nuit des
platanes géants ; leurs branches semblent des torses ou
des trompes de monstres, et partout des buissons de roses
les enlacent, — guirlandes de roses rouges et guirlandes
de roses roses. Nous ne rencontrons personne, et les
    kiosques des sultans morts semblent tous fermés, devenus
lugubres, à présent, dans cette obscurité.

Nous nous en allions. Mais voici que surgit, des fonds
d'ombre verte, l'Iman qui nous avait reçus hier. Il vient à
nous souriant, comme déjà ami :

— Oh ! mais pourquoi arrivez-vous si tard ?

En effet, tout est fermé.

Et lui-même venait de préparer sur un banc de pierre,
dans ce lieu si désolé le soir, son matelas, son tapis et son
narguilé, pour se coucher et s'endormir.

A sa ceinture, il porte les grosses clefs des tombeaux et
nous offre de les rouvrir. Nous le prions de nous montrer
seulement celui du prince Mustapha, à cause des merveilles
de faïence qu'il renferme.

Mais il fait trop sombre là dedans, sous le double couvert
de la coupole et des arbres : on ne distingue plus les bleus
lapis ni les rouges corail des fleurs émaillées ; le revête-
ment magnifique des murailles semble n'être plus qu'une
tapisserie aux dessins démodés et tristes, en grisailles
monotones ; le catafalque est inquiétant, avec sa coiffure
humaine, et on croit sentir dans l'air une vague odeur de
cadavre.

Allons-nous en, décidément. Derrière nous, la vieille
porte grince., refermée ; nous reprenons les sentiers pour
sortir, sous le dôme épaissi des feuillages, entre les guir-
landes de roses, dans cette herbe folle qui est spéciale aux
cimetières;

Et comme nous voulions en cueillir, de ces roses :
    « Attendez ! » dit l'Iman. — Il disparaît derrière les
branches, puis revient bientôt nous eu rapportant d'autres,
d'absolument embaumées, de celles qui servent à compo-
ser l'exquise essence orientale.

La nuit close, la nuit sans lune, mais scintillante
d'étoiles, me trouve à ma fenêtre, regardant encore le
pays que je vais quitter demain matin, la plaine d'en-
dessous, magnifiquement verdoyante au plein jour et
intensément noire à cette heure.

Je me rappelle alors le vilain petit panache de fumée,
qui était si empressé de courir au travers des bois et que
l'Iman, bientôt centenaire, du haut de la terrasse déli-
cieuse, m'avait signalé d'un geste, — et je crois entendre
encore ce « Yetichir ! yetichir ! (Cela suffit ! cela suffit !) »
répété deux ou trois fois, à la manière des vieillards
d'Orient qui aiment à marteler leur pensée par des redites.

Oh ! oui, cela suffit, et même c'est trop, hélas ! — C'est
par là que vont venir s'abattre, sur la vieille capitale des
Osmanlis, les tristes agités d'Occident ; c'est par là aussi
que tout s'en ira, vite, vite, comme un ruisseau qu'on ne
peut plus retenir : tout, la paix, le rêve, la prière et la foi.



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