dimanche 24 juillet 2011

Notre Yagcibedir


Je me suis assise dessus avec mon carnet et un stylo, notant frénétiquement tout ce que me traduisait Seher sur les symboles de ce tapis. J'ai fait sa connaissance, je l'ai senti sous mes pieds, l'ai caressé de mes mains et je l'ai aimé.

Je suis un aigle dans le ciel et je regarde la terre, la vie et les hommes depuis le firmament. Je vois la balance qui me rappelle à moi le roi du ciel qui vole plus haut que les autres oiseaux que je dois rester humble et juste.

Je suis la jeune fille qui tisse mon tapis alors que la rudesse de l'hiver sévit dehors. Je suis grande, j'ai les cheveux longs qui flottent au vent. Lorsque j'ai finit le tissage, j'étends le tapis devant ma porte pour faire briller les couleurs. Les fils de trame sont en bataille comme ma chevelure. Je suis libre et arrive bientôt en âge de me marier. Puis le temps a passé. J'attends une demande en mariage. Je te le fais comprendre en tissant les fils de trame en une multitudes de nattes. Dépêche-toi mon amoureux. Si quand tu viens les tresses sont reliées deux par deux, je serai déjà fiancée et il sera trop tard. Si tu arrives à temps c'est pour toi que je les attacherai.

Déjà quand j'étais devant mon métier à tisser je rêvais du printemps et de ma future vie de femme. Pour être heureuse je voudrais ce beau collier qui orne le centre de mon tapis. J'y mets des fleurs et des feuilles de platane pour en parfaire l'ornement. Est-ce toi qui me l'offriras ?

Sur ma trame blanche je noue mes fils un à un. Je suis à Esmedere. Nous faisons les meilleurs tapis. Les nœuds sont très serrés. Le travail est long. Je rêve des pommiers en fleurs. Au centre du tapis je n'oublie pas nos trois tribus nomades que je symbolise d'une lune avec des étoiles. J'y rappelle aussi ces tentes qui nous ont si longtemps accueillies. Et ces escaliers que tu vois de chaque côté, regarde bien ils sont de deux couleurs. La partie blanche représente la religion avec le Mihrab. La partie noire représente le cycle de la vie. Nous venons de la terre et nous y retournerons. Le noir tu ne le trouves qu'à Esmedere.
Au bout des escaliers les crochets symbolisent le fuseau avec lequel j'ai filé la laine ou les cornes des chèvres.

Dans les bordures je mets des pommes de pins et des pattes de chat. Ou alors la route des caravanes. Par une simple ligne ondulée je rappelle la route sinueuse de la vie même si nous ne devons pas nous détourner du droit chemin. Bien sûr je n'oublie pas le Kocabas (kodjabach), le gardien de la patrie, de notre foyer. Il nous protègera.

Et ce motif qui rappelle les fleurs et les feuillages dans les quatre coins de mon tapis tu le connais bien. Quand tu viendras me demander en mariage tu mettras des sacoches sur ton cheval. Elles seront de la même facture que mon tapis. Elles seront ornées d'une bordure de pommes de pin autour de ce motif. Pour montrer l'honneur que tu fais à ma famille, tu auras mis du thé et du sucre dans tes belles sacoches. Viens mon amoureux, mes parents seront heureux de t'accueillir et notre vie sera belle et riche comme mes rêves de jeune fille.

J'arrête de regarder mon tapis. Je quitte les rêves de la jeune fille qui font briller mes yeux. L'aigle me surveille. Décidément j'adore ce tapis.




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