Samedi soir. Point A sur la carte. Nous nous garons dans la cour de la maison de Virginia Linul à Salva. En costume traditionnel, elle nous attend sur le perron de sa porte, une assiette de Cozonac à la main. Je reviendrai plus tard sur ce personnage clé de l'artisanat de Salva et sa région. A côté d'elle, un correspondant local de la chaîne de télé Antena 1 nous filme dès notre descente de voiture.
Sur la grande table de la salle à manger, le repas est prêt. Virginia, sa mère, sa fille, ses sœurs et ses cousines ont travaillé toute la journée pour cuisiner l'agneau pascal. Elle ne partage pas avec nous un verre de Jinars de Mere (une tuica à base de pommes qu'elle produit elle-même) car elle ne termine son carême que le lendemain matin. Olivier, maman et les filles découvrent son musée-boutique où est exposé un large éventail de l'artisanat traditionnel roumain. Ceintures brodées de perles, blouses et jupes brodées de fils chamarrés, chapeaux aux plumes de paon (clop cu paun), coussins, sacs, chaussures et même les pompons rouges des chevaux. La caméra de Misu (le diminutif de Mihai, notre reporter) nous suit. Je fais la traduction des questions pour Olivier et maman.
Vers 23h, Jina (diminutif de Virginia) nous embarque dans sa voiture avec sa fille. Olivier reste à la maison avec Eglantine et Hortense, encore trop petites pour suivre. Nous nous rendons au monastère de Nuseni (prononcez Nouchen). Point B sur la carte. Seule les lumières du monastère se détachent dans la nuit parfaitement noire. Construit récemment, les fresques de l'église ne sont pas encore terminées. Alors que l'église se remplit, les lumières s'éteignent. Sur une table, les femmes déposent des paniers garnis qu'elles ont apportés. Tout à coup nous entendons une multitude de petits bruits secs, comme si une colonie de cigognes claquait leurs becs sous les voûtes de l'église. Il nous faut un petit moment pour comprendre que ce sont les bruits du plastique des verres que nous enfilons nous aussi autour des cierges. De cette façon ces longues bougies très fines ne couleront pas sur le sol une fois allumées par la flamme venue de Jérusalem. Un peu plus tôt dans la soirée nous avons vu aux infos la lumière du Christ arriver par avion privé, avant d'être répandue au plus vite dans tout le pays par voie aérienne. Je suppose que le ciel roumain était ce soir entièrement réservé à ces vols très spéciaux.
Dans l'église, la flamme se transmet de cierge en cierge. Christ est ressucité. Hristos a inviat ! Puis tout le monde sort. Je ne comprends pas tout aux rituels. Jina m'explique ce qu'elle peut, mais mon roumain a encore trop de lacunes. Je suis sous le charme des rites. La télé nous filme. Nous ne restons pas jusqu'à la fin car la cérémonie dure jusqu'au bout de la nuit.
Une fois de retour à la maison, Jina nous fait communier. Nous prenons chacun trois morceaux de pain trempés dans une sorte de vin blanc en disant : "Hristos a inviat. - Adevarat a inviat." Nous renouvelleront ce rituel avant chaque repas tout au long de notre séjour. Même avant le petit déjeuner. De même quand nous croisons quelqu'un, nous disons "Hristos a inviat !" et il répond "Adevarat a inviat !".
Dimanche matin, après un petit déjeuner copieux où se mélangent miel et agneau (mais, clin d’œil, l'agneau se dit miel en roumain), Jina nous habille avec les costumes traditionnels qu'elle fabrique. Olivier a un peu de mal avec le clop aux grandes plumes de paon qui est un peu petit pour lui. Moi je le trouve magnifique avec son costume et sa large ceinture brodée. Hortense accepte difficilement la blouse et la jupe. Impossible de lui mettre les deux tabliers jumeaux qui se portent devant et derrière. Grand-Mère, Eglantine et moi jouons le jeu avec plaisir. Eglantine se sent magnifique et rayonne de bonheur sous sa couronne fleurie. Misu nous filme.
Nous nous rendons à l'église orthodoxe. L'office a commencé depuis un bon moment. L'église est pleine. Avec nos costumes traditionnels et notre reporter personnel, nous ne passons pas inaperçus. Les villageois sont un peu déçus de ne pas avoir étés prévenus de notre visite car ils auraient alors portés eux-aussi leurs costumes traditionnels. Aujourd'hui ils ne sont que quelques uns. En effet ils mettent leurs vêtements traditionnels plutôt le lundi. A l'étage je retrouve la maman de Jina qui chante avec le chœur des femmes. Elles sont belles dans la lumière dorée de l'église. Avant la fin de l'office, nous changeons d'église pour rejoindre la communauté gréco-catholique. L'église est plus sobre et les fidèles moins nombreux mais la ferveur est la même. Partout les gens sont heureux de nous accueillir et le prêtre vient nous saluer personnellement à la fin de l'office. Le vin coule à flot et le pain se prend par poignées dans de grandes bassines pour communier. Hristos a inviat ! Adevarat a inviat !
Nous rentrons déjeuner chez Jina. Le drob, les sarmale et l'agneau frit nous attendent sur la table. La porte s'ouvre, une amie de Jina passe. Jina lui offre un verre et une assiette. Puis elle repart. Plusieurs visiteurs se succèderont ainsi. Pour les enfants, Jina a préparé des œufs durs ou en bois avec des perles et des petits gâteaux colorés. Ils pourront les mettre dans leurs petits sacs avant de repartir frapper à la porte voisine. Selon la tradition nous frappons chacun nos œufs durs les uns contre les autres en disant... "Hristos a inviat ! Adevara a inviat!".
Après une bonne sieste, Jina nous emmène au monastère de Parva-Rebra. Point C sur la carte. Surplombant un cours d'eau au pied d'une petit montagne, l'accès à son église se mérite au prix de l’ascension de nombreuses marches. Olivier allume un cierge avec chacune de ses filles. Jina nous remplit une bouteille d'eau bénite à l'énorme fontaine. Elle m'explique que nous pouvons au choix la boire ou en asperger la maison.
Il est bientôt 19h. Misu a envoyé ses images à Bucarest depuis longtemps. Notre reportage doit passer aux infos nationales. Nous n'avons pas le temps de rentrer à la maison car Jina veut nous montrer la source d'eau gazeuse de Sângeorz-Băi, réputée pour ses vertus thérapeutiques digestives. Point D sur la carte. Nous nous installons dans un café où on accepte de nous mettre Antena 1. A 19h le journal commence. Nous attendons de nous voir. Puis vient le tour des Observator et de cette famille de Français venus passer Pâques au fin fond de la Roumanie. Nos voisins de café n'en reviennent pas que Salva passe aux infos. La région n'est pas touristique. Ils nous reconnaissent. Hortense hurle "Y a maman ! Y a maman ! ... Y a papa aussi !". La Roumanie c'est vraiment sympa et Jina nous la rend définitivement magique.
Nous avons rempli nos bouteilles d'eau ferrugineuse. Nous allons nous coucher la tête pleine de souvenirs. Lundi, Jina a encore prévu beaucoup pour nous. Malheureusement Hortense est de moins en moins bien. La nuit est épuisante pour nous tous. Et nous décidons de partir au plus tôt. Je suis triste à l'idée de tout ce que nous avons manqué. Mais surtout tellement heureuse de tout ce que nous avons vu et partagé avec les habitants de Salva !
Merci Jina !
Et un grand merci à Antonia, ma prof de roumain, grâce à qui je peux me débrouiller en version originale !
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