jeudi 24 mai 2012

A Jugur chante une flûte

Après Pitesti, il faut prendre la direction de Campulung. Un peu avant Rudeni, ne pas rater la 738 qui part discrètement sur la droite. Petite route de campagne perdue dans la verdure dont le bitume finit par disparaître pour laisser la place à un chemin blanc. Après les fortes pluies de la nuit, mon Duster soulève des gerbes d'eau qui éclaboussent jusqu'au toit. Nous croisons quelques voitures et beaucoup de charrettes. Dans les champs, l'herbe fraîchement coupée est empilée en meules qui pointent vers le ciel qui s'est dégagé. Les fleurs d’acacias sèment leurs pétales au vent. Les hommes en bras de chemise s'affairent aux gros travaux. Les chevaux ont de beaux pompons rouges et les vaches paissent paisiblement sous les arbres.

Enfin nous retrouvons le goudron, valeur rassurante pour la citadine que je suis. Nous entrons dans le centre du village. A droite après l'église, nous montons une ruelle de cailloux. Encore un petit chemin sur la droite et nous arrivons enfin à la maison cossue de Ion Arsene. Vieux papi bourru de 81 ans, il nous attend sur le pas de la porte. Nous nous installons dans une petite pièce garnie de son diplôme d'artisan, de sa photo de mariage en noir et blanc, de celle de ses parents dans les même couleurs et de ses filles en costumes populaires en photo couleur des années 60.

Des pruniers et des cerisiers qui l'entourent, Ion fait des flûtes. Il a volé le métier à un homme quand il était jeune. Ce n'est pas la première fois que j'entends parler du vol de métier. Loin d'être puni par la loi, ce vol là est même recommandé par les dictons populaires. Point de mal, point de crime, il s'agit seulement de regarder faire et de reproduire, sans aide, comme ça, pour soi, en toute discrétion, sans tambours ni trompettes, sans examen ni diplôme. Le diplôme viendra plus tard. Quand le métier sera acquis et reconnu par d'autres. Toujours on sent au milieu de l'orgueil propre à un beau travail, une humilité sans borne face au savoir détenu.

Et comme beaucoup d'artisans que nous avons rencontrés avec Antonia, l'art est avant tout un hobby (on utilise très couramment ce mot en Roumanie). Pendant trente ans, Ion a travaillé dans les mines de charbon voisines. Aujourd'hui il n'en reste plus qu'une seule en activité. Assis au soleil sur un tapis posé sur la première marche devant leur maison, Ion et sa femme regrettent le temps du communisme qui assurait du travail à chacun.

Aujourd'hui les usines sont fermées et ne sont souvent plus que des ruines. Les jeunes n'ont pas de travail. A quoi peut bien servir d'avoir plus d'écoles si de toute façon les gens ne peuvent pas payer l'université à leurs enfants ? Pour eux Ceaucescu au moins pensait au peuple. De leur village, ils n'ont pas vu les prisons humides et glaciales et les files d'attente pour un peu de nourriture dans une Bucarest défigurée par les folies mégalomaniaque de leur grand chef regretté. A Jugur la vie n'a pas beaucoup changé depuis la révolution. Mais leurs enfants travaillent beaucoup et finalement ne vivent pas beaucoup mieux. Alors ils sont inquiets.

Mais leurs sourires nous accompagnent adossés à leur portail alors que nous reprenons la route de Pitesti.




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