Jeudi 25 avril, j'étais à Bursa avec les filles. La place Taksim à Istanbul n'était pas encore un champ de bataille. La robe rouge n'était pas un symbole. Je ne connaissais pas la signification du mot capulcular, "tchpapouldjoular", les maraudeurs, les racailles. Mes amis turcs en sont tous aujourd'hui. Mon mur facebook est submergé de drapeaux rouge et blanc, d'images de violences policières, d'appels au calme, à la mobilisation, de numéros de pharmacie et de médecins de garde, d'articles de journaux en français, en anglais et en turc qui tentent de faire comprendre la situation. Je ne souhaite même pas ici essayer d'en faire une synthèse. Ca n'a jamais été le but de la Cafetière, même quand elle était turque. En tapant aujourd'hui mon texte du jeudi 25 avril, j'espère juste vous faire partager un peu de mon amour pour cette Turquie qui se déchire aujourd'hui.
A Yesim et Murat, Tini et Raluc, Virginie, Esra, Yeliz, Aydin, Seher, Ugur, Caroline, Gün, Sultan, Elif , Onur, et à tous les autres, mon cœur est avec vous !
Jeudi 25 avril 2013. Bursa.
Le thé est chaud et les ayrans
éventrés par leurs pailles rouges traînent encore au milieu des petits cœurs blancs
de la nappe rose. Le vendeur de simit
est assis au bord de la fontaine du Koza Han. L’ombre des arbres dessine un
monde de murmures en noir et blanc sur les pages de mon cahier.
L’après-midi commence au rythme des tintements des cuillères
dans les petits verres de thé ambré.
Une heure plus tôt les rues étaient
presque vides. Nous croisions un homme portant avec décontraction un plateau de
simits chauds sur la tête. Un autre
poussait une brouette pleine d’agneaux dépecés prêts à être exposés chez le
boucher. Le marchand de tapis finissait de passer l’aspirateur dans sa
boutique. Le pain chaud sortait du four. Les marchands de glace regardaient leurs
téléphones portables devant les piles de cornets en attendant les premiers
clients.
Quand nous sommes arrivées chez Davut Bey, le tailleur, il
coupait à grands coups de ciseaux bien affutés ce tissu qui habillera bientôt
un homme bien mis de la ville. Davut n’a pas tout de suite reconnu Hortense qui
ne ressemble plus au bébé de ses souvenirs. Mais en tournant son regard vers
Eglantine, il a tout de suite dégagé le rouet qui sert de gouvernail à ses
grandes aventures depuis toutes ces années que nous venons chez lui. Il ne l’oublie
pas, ce petit bout de fille, Capitaine des costumes qui ondulent au rythme des
flots de tissus, désormais secondée par son fidèle lieutenant, Hortense.
Aux fruits et légumes, fraises et mûres ont eu la faveur des
filles. Les blouses se sont tâchées en même temps que les doigts et les mentons,
alors que les sourires ravis pétillaient sur leurs visages. Chez le marchand de
tissu, le turc d’Eglantine revient un peu avec quelques bonbons. Tesekkürler. Görüsürüz. Hortense ne s’habitue pas à ce que tout le monde lui
passe la main dans ses cheveux fins et clairs. Couettes blondes porte-bonheur.
Ses gestes agacés et ses cris de mouette en colère ne découragent personne.
Nous nous lavons les mains à l’eau fraîche des fontaines des
petites mosquées. Les voiles colorés ondulent dans la foule des manteaux
sombres. Ici un jean slim vert et un chemisier blanc portent une longue
chevelure qui flotte sensuellement derrière un barbu ridé à la calotte vissée
sur la tête.
Eglantine retrouve ses marques en passant le portail
monumental du Koza Han. Börek, açma, repas sur le pouce. Le thé est
encore chaud. J’en suis à mon troisième. Les filles mangent une glace. Bientôt
nous quitteront la nappe rose et les fleurs du tilleul qui tombent en flocons
pour continuer notre voyage dans les saveurs du bazar.
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