mardi 11 juin 2013

Turquie je t'aime

J'ai toujours mon cahier Moleskine dans un coin de mon sac. J'y note aussi bien mes listes de choses à faire que quelques mots qui me traversent parfois l'esprit. Avant de les perdre. J'y garde aussi les textes de mes ateliers d'écritures, écrits très vite, parfois illisibles. Mots qui se bousculent pour tous trouver leur place sur les pages douces et jaunes.

Jeudi 25 avril, j'étais à Bursa avec les filles. La place Taksim à Istanbul n'était pas encore un champ de bataille. La robe rouge n'était pas un symbole. Je ne connaissais pas la signification du mot capulcular, "tchpapouldjoular", les maraudeurs, les racailles. Mes amis turcs en sont tous aujourd'hui. Mon mur facebook est submergé de drapeaux rouge et blanc, d'images de violences policières, d'appels au calme, à la mobilisation, de numéros de pharmacie et de médecins de garde, d'articles de journaux en français, en anglais et en turc qui tentent de faire comprendre la situation. Je ne souhaite même pas ici essayer d'en faire une synthèse. Ca n'a jamais été le but de la Cafetière, même quand elle était turque. En tapant aujourd'hui mon texte du jeudi 25 avril, j'espère juste vous faire partager un peu de mon amour pour cette Turquie qui se déchire aujourd'hui.

A Yesim et Murat, Tini et Raluc, Virginie, Esra, Yeliz, Aydin, Seher, Ugur, Caroline, Gün, Sultan, Elif , Onur, et à tous les autres, mon cœur est avec vous !




Jeudi 25 avril 2013. Bursa.

Le thé est chaud et les ayrans éventrés par leurs pailles rouges traînent encore au milieu des petits cœurs blancs de la nappe rose. Le vendeur de simit est assis au bord de la fontaine du Koza Han. L’ombre des arbres dessine un monde de murmures en noir et blanc sur les pages de mon cahier.
L’après-midi commence au rythme des tintements des cuillères dans les petits verres de thé ambré.

Une heure plus tôt les rues étaient presque vides. Nous croisions un homme portant avec décontraction un plateau de simits chauds sur la tête. Un autre poussait une brouette pleine d’agneaux dépecés prêts à être exposés chez le boucher. Le marchand de tapis finissait de passer l’aspirateur dans sa boutique. Le pain chaud sortait du four. Les marchands de glace regardaient leurs téléphones portables devant les piles de cornets en attendant les premiers clients.

Quand nous sommes arrivées chez Davut Bey, le tailleur, il coupait à grands coups de ciseaux bien affutés ce tissu qui habillera bientôt un homme bien mis de la ville. Davut n’a pas tout de suite reconnu Hortense qui ne ressemble plus au bébé de ses souvenirs. Mais en tournant son regard vers Eglantine, il a tout de suite dégagé le rouet qui sert de gouvernail à ses grandes aventures depuis toutes ces années que nous venons chez lui. Il ne l’oublie pas, ce petit bout de fille, Capitaine des costumes qui ondulent au rythme des flots de tissus, désormais secondée par son fidèle lieutenant, Hortense.

Aux fruits et légumes, fraises et mûres ont eu la faveur des filles. Les blouses se sont tâchées en même temps que les doigts et les mentons, alors que les sourires ravis pétillaient sur leurs visages. Chez le marchand de tissu, le turc d’Eglantine revient un peu avec quelques bonbons. Tesekkürler. Görüsürüz. Hortense ne s’habitue pas à ce que tout le monde lui passe la main dans ses cheveux fins et clairs. Couettes blondes porte-bonheur. Ses gestes agacés et ses cris de mouette en colère ne découragent personne.

Nous nous lavons les mains à l’eau fraîche des fontaines des petites mosquées. Les voiles colorés ondulent dans la foule des manteaux sombres. Ici un jean slim vert et un chemisier blanc portent une longue chevelure qui flotte sensuellement derrière un barbu ridé à la calotte vissée sur la tête.

Eglantine retrouve ses marques en passant le portail monumental du Koza Han. Börek, açma, repas sur le pouce. Le thé est encore chaud. J’en suis à mon troisième. Les filles mangent une glace. Bientôt nous quitteront la nappe rose et les fleurs du tilleul qui tombent en flocons pour continuer notre voyage dans les saveurs du bazar.

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